Mon arbre s’est remis à vivre
J'étais à un tournant important de ma vie. Venant d'avoir un contrat de travail à l'étranger, je pensais qu’il était inutile de commencer l'atelier d’analyse transgénérationnelle que me proposait, depuis quelques temps, mon psychanalyste. Mais ayant déjà fourni tant d'efforts pour me sentir mieux, je me suis finalement décidée à ouvrir cette porte.
Le premier atelier m'a surprise. A la demande de mon analyste, qui préférait que je déploie intuitivement mon premier arbre avant d’entreprendre mon enquête, je n'avais fait aucune recherche et j’étais étonnée d'avoir pu déployer tant d’informations sur moi et sur ma famille sur le génosociogramme. J'avais alors une sensation de rejet par rapport à ma famille, je me sentais différente, j’avais une certaine rancœur à son égard et j'ai découvert qu’il y avait de nombreuses questions concernant mes ancêtres auxquelles je ne savais pas répondre. J'ai vite compris que mon travail allait se baser en grande partie sur ces interrogations. Entre-temps, j'ai appris, après quelques discussions avec les membres de ma famille, que le frère de mon grand-père avait réussi à s'échapper d'un camp de concentration et était revenu à pied jusqu'au village. Malheureusement, tant lui et d’autres de ses infortunés compagnons avaient été battus et il avait succombé à ses blessures. J'ai aussi appris qu’un autre membre de ma famille avait été un chef de la résistance et avait manipulé la gestapo pour aider des juifs à s'échapper. Mes racines ont repoussé. J'ai toujours eu une âme de résistante, prenant parti pour le peuple. Je n'ai jamais eu peur de mes décisions ni de prendre des risques. C'est bien le même sang qui coule dans mes veines et j'en suis fière. J’ai donc à cet instant renoué des liens avec mes ancêtres.
Le deuxième atelier m'a fait réaliser que le sac que je portais sur mes épaules depuis tant d’années était devenu le croquis de mon arbre psychogénéalogique, ce grand bout de papier, collé sur le mur du cabinet de mon analyste, que je regardais pour la deuxième fois. J’ai alors aperçu des similitudes flagrantes avec des personnes de ma famille. Mes cousins comme moi-même sommes courageux. Nous cumulons plusieurs jobs pour bénéficier d'un niveau de vie plus aisé. Mon grand-père maternel a repris des études après avoir travaillé dans le bâtiment: il a refait trois ans en cours du soir pour être plombier. Je continue encore moi-même des études en ligne. J’ai 32 ans et je n’ai encore jamais arrêté d’essayer de progresser socialement et personnellement. Ce deuxième atelier m’a également permis de comprendre certaines de mes réactions. J'étais fière de retrouver dans chacun une partie de moi. J'ai vu mes liens se reconstruire avec les personnes de mon entourage et mes racines repousser au fur et à mesure de mes découvertes car me sentant très différente, j’ai toujours pensé à l'hypothèse d’être une enfant adoptée ou d'être le canard noir de la famille. Maintenant j'ai enfin le net sentiment d’avoir trouvé ma place et d'appartenir à une famille.
J'ai aussi réalisé que ce qui avait été le drame de mon enfance, n’était autre qu'un élément répétitif dans mon arbre, du à un tabou et à un défaut de transmission entre les générations de femmes. A l’âge de 15 ans, j'ai avorté. Cela m'a complètement changée, je suis devenue sévère avec moi-même, m’obligeant à assumer tout ce que je faisais et voulant toujours le faire seule. Je suis devenue une adulte bien trop tôt! J'ai toujours eu un sentiment de culpabilité et un mal-être latent, m'en voulant de ne pas avoir su éviter ce drame et me lamentant en me demandant « pourquoi moi? ». En faisant mon arbre, j’ai compris que le sexe était un sujet tabou dans ma famille. Ma mère et mes deux grand-mères avaient avortés également! Quelle surprise! Ce qui m’est arrivé était de toute évidence du a un manque d’information, de discussion… et s'est donc reproduit une fois de plus à ma génération. Savoir que toutes les femmes des générations précédentes avaient avortés, et ce de leur propre choix, m’a totalement libérée de mon sentiment de culpabilité!
Je ne voulais pas vraiment participer au troisième atelier d'analyse transgénérationnelle. Je n'avais pas discuté avec ma famille et il me semblait que je n’avais aucun élément nouveau à fournir. C’est à ce moment, cinq mois après avoir ouvert la porte de l’analyse transgénérationnelle et le premier jour que je suis de retour en Belgique, que m'explose au visage un secret de famille. Je ne m'y attendais pas du tout! Quand je vous parle d’un secret de famille, il s’agit d’un lourd secret, difficile à avouer et difficile à mettre en mots et pourtant, cela s’est bien réellement produit! Je pensais que ce secret était le mien mais c’était aussi un secret que je partageais, sans le savoir, avec mes tantes et peut-être avec d’autres personnes. A l’âge de 13 ans, mon grand-père a abusé de moi. Cela a toujours eu une influence néfaste et tragique sur moi. J’ai beaucoup de difficultés à faire confiance aux hommes et encore plus à accepter la relation sexuelle. Le fait que mes tantes ont vécu la même chose que moi ne fait plus de moi l’unique et pauvre victime, la malchanceuse. Cela veut également dire que je n’ai rien fait pour provoquer cela: ce n’était pas de ma faute! Une nouvelle libération pour moi! Maintenant, il me reste à comprendre pourquoi il a fait cela. L’aveu de mes tantes m'a soulagée et aussi rapprochée d’elles: un lien nouveau nous a reliées. J'ai pu mieux comprendre la souffrance de mes tantes ainsi que leur tristesse et cela explique certaines de leurs réactions et leur façon de vivre. La plus vieille de mes tantes a toujours été sévère et d’aspect froid, c’est elle qui se montrait la plus forte car elle est l’ainée. La plus jeune de mes tantes, quant à elle, a toujours été dépressive et a essayé de noyer son chagrin dans l’alcool. Maintenant je cherche le moyen de pouvoir libérer mes tantes et ma famille de ce secret. J’ai la conviction que je suis la personne qui va empêcher les drames et les secrets de ma famille de se reproduire aux générations suivantes.
Après trois ateliers d’analyse transgénérationnelle, je comprends d’où je viens. Je ne me sens plus seule mais bien comme faisant partie de ma famille et ayant des connections avec chacun de ses membres. Mon fardeau n’en est plus un. J’ai d’ailleurs symboliquement remisé mon génosociogramme chez mon psychanalyste en attendant mon retour en Belgique et le prochain atelier. Je sais maintenant où je veux aller.
Je voudrais également ajouter ceci dans ma conclusion:
Mon arbre s'est mis à bouger de lui-même. La famille inconsciemment a ouvert le dialogue et s'est mise à se remémorer de vieux moments. Mon arbre a changé de forme durant ces derniers mois et va bientôt s'agrandir car mon cousin va devenir prochainement papa. Mon arbre s’est remis à vivre!