Syndrome d’anniversaire et statistiques
Dans son livre Aïe mes aïeux, Anne Ancelin Schützenberger fait référence à l’étude statistique publiée en 1961 et réalisée par le Dr Joséphine Hilgard, qui confirme son intuition que « L‘ inconscient a bonne mémoire».
Dans cette étude statistique, le Dr Joséphine Hilgard déclare que le déclenchement d’une psychose à l’âge adulte peut être lié à la répétition familiale d’un événement traumatisant.
Ce genre de répétition est appelé « Syndrome d’anniversaire » ou « Syndrome de répétition ».
Le protocole de l’étude du Dr Hilgard
Le Dr Hilgard a fait une étude systématique des entrées de deux hôpitaux californiens entre 1954 et 1957 ce qui représentait 8680 malades. Elle a éliminé les dossiers des patients âgés de plus de 50 ans et les malades ayant un diagnostic d'alcoolisme, de maladies organiques et de personnalités psychopathiques et à ensuite pris en compte 2402 malades dont les 3/5 étaient diagnostiqués schizophrènes, 1/5 maniaco-dépressifs, et 1/5 « psychoneurotiques ».
Parmi ceux-là, n'ont été retenus pour la recherche que les malades dont la première admission était faite après mariage et paternité/maternité, et perte d'un parent par la mort entre l'âge de deux et seize ans (à condition que la date de la perte du parent puisse être fermement établie par des entretiens, des documents écrits et vérification des registres et dossiers hospitaliers).
De ce grand nombre d'entrées (8 680), réduits à 2 402 par l'exigence d'âge et de situation parentale, et selon ces critères stricts, il ne restait que 184 malades ou 8 % du total : 37 hommes et 147 femmes.
Selon Joséphine Hilgard, cet échantillon était suffisant pour une étude statistique et démontre la réalité statistique du syndrome anniversaire.
Ces nombres sont suffisants pour une étude statistique
Joséphine Hilgard a relevé des coïncidences entre l’âge du patient au moment de la perte du parent et l’âge de l’aîné des enfants au moment de la première admission du patient chez 14 des 65 femmes qui avaient perdu leur mère, et chez 9 des 82 femmes qui avaient perdu leur père.
« Parmi les femmes malades, la coïncidence d'âge (syndrome d'anniversaire) apparaît chez 14 des 65 femmes dont la mère est morte, mais seulement chez 9 des 82 femmes dont le père est mort» [...].»
En ce qui concerne les hommes, cette corrélation n’a pu être faite et le Dr Joséphine Hilgard explique ce fait parce que les hommes finiraient plus souvent alcooliques ( cette pathologie étant exclue de l’étude) .
Le Dr Monique Bydlowski, psychiatre-psychanalyste et chercheur à l’Inserm aurait fait des observations analogues en étudiant les dates d’accouchement à la maternité de Clamart puis à celle de Port-Royal, à Paris.
Deux exemples de syndrome d’anniversaire
Avant que le thème central du « syndrome d'anniversaire » ne fut découvert, ces deux cas paraissaient inexplicables et étiquetés schizophrènes
Josephine Hilgard (1953): « Anniversary Reactions in Parents precipitated by Children », , (Etudes de 1952 à 1989) citée dans le livre “Aïe mes Aïeux “d’Anne Ancelin Schützenberger.
Premier cas
« Marie Bancroft, la mère d'une petite fille de six ans, Jenny, déve[-]loppe une pneumonie, une pleurésie et une psychose. Lorsqu'elle était une enfant de six ans, son propre père est mort d'une pleurésie et pneumonie avec méningite terminale » [...]
« La possibilité qu'il s'agisse d'une réaction d'anniversaire [...] est indiquée par le fait que les symptômes aigus sont apparus lorsque sa fille a atteint l'âge qu'elle avait à l'époque de la mort de son père, et par le fait que sa pneumonie et sa pleurésie ont copié les symptômes de son père lors de sa maladie terminale. Les symptômes psycho[-]tiques sont apparus lorsqu'elle était encore à l'hôpital pour sa pneu[-]monie. » [...] « un matin la patiente a annoncé qu'elle a eu une conversation avec Dieu et qu'elle était d'essence divine [...] et immortelle» [...] «et elle s'est mise à chanter, siffler, crier» .
[...] « Dans l'année avant que je ne la voie, elle a été hospitalisée eta reçu trois séries d'électrochocs » [mais en n'obtenant que quelquesaméliorations passagères de sa psychose].
[...] [Au cours de sa psychothérapie avec Joséphine Hilgard] [...]« Mme Bancroft a souvent relié l'expérience de sa fille à sa propre expérience en tant qu'enfant : comment Jenny l'a vue emmenée sur un brancard ; comment sa mère l'a rejetée, et comment elle est en train de rejeter Jenny par son absence [...]
« Elle faisait de nombreuses choses que sa propre mère avait faites, choses qui n'étaient pas du tout comme ce qu'elle faisait d'habitude » [...]
« lorsque nous avons abordé sa maladie actuelle comme une répétition de quelque chose à quoi elle ne pouvait pas faire face en tant qu'enfant, il y a eu des gains thérapeutiques évidents. » .
Deuxième cas
"James Carson, trente-quatre ans, est hospitalisé à la suite de plaintes de maux de tête intolérables depuis plus de quatre ans (...) allant jusqu'à une tentative de suicide en prenant 50 tablettes de phénobarbytal. Les symptômes aigus ont commencé lorsque son fils avait quatre ans, l'âge qu'il avait lorsque son propre père est mort soudain de grippe.[...]"
« A la naissance de son fils, il changea de travail, et passa d'employé de bureau dans un grand magasin à un travail de recherche criminelle dans la police privée, [...] et lorsque son fils eut quatre ans, il entra dans le service de police des chemins de fer, dans la compagnie pour laquelle son père avait travaillé [alors qu'il s'était juré de ne jamais le faire]. Est-ce une possible réaction d'anniversaire ? Une identification inconsciente avec son père ? »
Après une psychothérapie et dans une situation considérée comme sans espoir, avec hallucinations et désir homicide et suicidaire] « lorsque l'hypothèse de la nature anniversaire de la maladie lui fut présentée, il alla beaucoup mieux [après s'être exclamé] "merde, si mon père n'était pas mort, je ne serais pas dans ce merdier" [...] "vous savez, oh, ça me revient, mon père avait un fils et une fille et j'ai un fils et une fille" [...] "quelque part j'ai le sentiment qu'il [mon père] était moi et que moi j'étais mon père".
L'aspect incorporation de l'identification avec le père mort est d'autant plus évident qu'il dit, parlant de ses maux d'estomac qu'il se sentait gonflé et comme s'il y avait quelque chose à l'intérieur de lui, comme un cadavre.
Au départ , les symptômes paraissaient apparaître sans cause. Après que les épisodes centraux furent compris, le reste du matériel clinique se mit en place » [...] « une des raisons pour lesquelles des cas de ce genre ne sont pas reconnus, c'est parce que la figure centrale — un jeune enfant, qui ne paraît pas très concerné — fournit les clefs expliquant la maladie ou les difficultés parentales ».
Pour chaque malade, on nota deux âges. Le premier était l'âge de la première admission à l'hôpital et le second était l'âge hypothétique du syndrome d'anniversaire, c'est-à-dire l'âge qu'aurait dû avoir le (la) malade si l'aîné de ses enfants avait eu l'âge qu'elle avait au moment de la perte du parent »
le statisticien devait déterminer si la correspondance entre ces âges arrivait plus souvent que si c'était dû uniquement au hasard.
Les corrélations trouvées par le Dr Hilgard et son équipe indiquent qu'il ne peut s'agir de hasard : le syndrome d'anniversaire apparaît plus souvent que prévu, c'est-à-dire qu'il est «statistiquement significatif» au niveau du.03 pour les femmes ayant perdu leur mère, [c'est-à-dire le parent du même sexe].
Selon le Dr Hilgard,le syndrome d'anniversaire est donc statistiquement démontré [dans le cas d'épisodes psychotiques chez des adultes mariés hospita[-]lisés] .
Malheureusement, le nombre d'hommes trouvés avec ces critères est trop faible pour une analyse statistique : il est cependant suffisant pour indiquer une tendance similaire chez les hommes ayant perdu leur père, bien que ce ne soit pas statistiquement significatif dans cette étude pour la perte d'un parent de l'autre sexe.
Pourquoi cette différence entre hommes et femmes ?
Pour le DR Hilgard, le fait qu'il y ait moins de cas de déclenchement de psychose en ce qui concerne les hommes s'explique par le fait que les hommes ont plus de flexibilité de rôles et de possibilités diverses de choix que les femmes pour tenir un rôle dans la société et dans la vie.et beaucoup d'hommes choisissent en cas de difficulté un refuge « dans la bouteille », c'est-à-dire dans l'al[-]coolisme.
« l'alcoolisme est une alternative autre que la psychose pour répondre au sentiment conflictuel créé par l'arrivée d'un bébé à la maison »
L'un des points importants de cette recherche, à donc été la mise en évidence d’un « syndrome d'anniversaire », complété par celle du « double anniversaire » ou de « l'anniversaire successif » dans le cas d'une mère ayant deux enfants et qui avait fait une dépression à épisode psycho[-]tique lorsque chacun des enfants avait atteint successivement l'âge qu'elle avait à la mort de sa mère .
Hilgard et Newman rapportent d'autres exemples cliniques~~dans leurs articles de 1959 et 1961.
Des recherches faites sur la perte de la mère par psychose (et internement) ont montré le même phénomène d'anniversaire lorsque la fille atteignait l'âge de l'hospitalisation de la mère.
Joséphine Hilgard et Martha Newman, « Anniver-sary in Mental Illness », Psychiatry, 1959 ; « Evidence For Func-tional Genesis in Mental Illness : Schizophrenia, Dépressive Psychoses and Psychoneuroses », J. Nerv. [&] Ment. Dis., 132: 3-16, 1961).
L’âge critique
Lorsqu'il y a perte d'un parent à un certain âge, lorsque le sujet atteint cet « âge critique », il y a de fortes probabilités pour qu'il y ait rebondissement de la crise à l'âge anniversaire ou à la date anniversaire, comme on le voit pour le double anniversaire, avec épisode psychotique, chaque fois que l'un des enfants atteint l'âge du sujet lorsqu'il y a eu perte d'un parent de son propre sexe.
Ceci se déclenche plus fréquemment lorsque l'enfant et le parent ont la même place dans la fratrie et que quelque part la famille ou la personne elle-même prévoit cet effondrement. Robert Rosenthal a appelé la « réalisation automatique des prédictions » et le « jeu familial des ressemblances » et des identifications.
Cependant, un très grand nombre de personnes ne deviennent pas psychotiques ou névrosées après avoir perdu leur parent pendant leur enfance. Aussi il était important de comprendre le pourquoi du problème et de déterminer dans quelles circonstances la mort d'un parent (père ou mère) dans l'enfance, pouvait créer cette fragilisation de la période d'anniversaire.
D'autres travaux de Joséphine Hilgard portent sur deux mille foyers de personnes âgées de dix-neuf à quarante-neuf ans, en tant que groupe de contrôle, ou groupe témoin de la population normale voisine de celle de l'hôpital : ce groupe de population dite normale présente une moindre incidence du syndrome d'anniversaire que la population hospitalière étudiée.
Quelle est la différence entre ces deux populations et quels sont les facteurs qui ont protégé la population témoin de graves dommages psychologiques ? (Il n'y a pas fragilisation avec épisode psychotique)
Ces facteurs sont :
- Harmonie et mariage stable avant la mort de l'un des parents, de bon augure pour la génération suivante.
- Le parent restant est suffisamment fort pour garder une famille unie et bien ensemble .
- Le deuil est exprimé et partagé (expression du chagrin, pleurs...),
- Certaines mesures compensatoires sont prises.
- Si un réseau de soutien familial, social, et utilisant les ressources de la communauté locale est mis en place et utilisé.