Un article de Thierry BUNAS publié le 18 novembre 2020

La plupart des bienfaiteurs ressemblent à ces généraux maladroits qui prennent la ville et qui laissent la citadelle.
Nicolas de Chamfort

Tout le monde connaît plus ou moins la sexologie, un peu la sexothérapie, peut-être moins la sexoanalyse qui accompagnent les troubles de la vie amoureuse en visant une bonne santé sexuelle de la personne et du couple, depuis le champ médical jusqu’à l’analyse en passant par le médico-social. Tout le monde a également entendu parler de la psychogénéalogie mais peut-être un peu moins, sauf les lecteurs et membres de Généasens et des sites similaires, du transgénérationnel qui traitent des transmissions inconscientes entre les générations.

La sexoanalyse transgénérationnelle (SATG) telle que je l’ai développée et la propose dans ma pratique de clinicien est une approche que l’on peut dire « intégrative », dans le sens où elle utilise plusieurs champs et pratiques thérapeutiques principalement dans la rencontre de la sexologie clinique et de l’analyse transgénérationnelle.

Le « petit traité » raconte la généalogie de cette approche qui ne se veut pas une « nouvelle thérapie » mais qui propose de formaliser clairement la manières d’accompagner les couples et les personnes en souffrance quand elle se répète. Il présente les transmissions qui ont amenées à cette réflexion-formalisation prenant racines dans les penseurs du XVIIIe ainsi que les précurseurs de la sexologie du XIXe et également des praticiens et thérapeutes du XXe qui ont construit les approches que nous utilisons encore de nos jours, même si souvent elles sont manipulées et transformées par l’expérience et de nouvelles connaissances. Les anciens ont pu faire des erreurs et des horreurs… ils ne savaient pas tout et étaient eux-aussi empêtrés dans des transmissions et des croyances propres à leurs époques.

Le livre développe comment la SATG peut clarifier, éclairer, dénouer voire soulager (oserai-je dire soigner dans le sens du soin relationnel car je ne suis pas médecin) des situations et des troubles qui se répliquent et ne sont pas « réglés » par d’autres approches. Il présente aussi quels liens la SATG peut entretenir avec les autres champs : celui de la santé sexuelle (sexologie, sexothérapie, sexoanalyse, urologie, gynécologie, …) comme celui de la psychothérapie et de l’analyse (psychiatrie, psychologie clinique, psychogénéalogie, psychanalyse transgénérationnelle, thérapie de couple systémique, …). Ensuite, il donne un regard particulier aux troubles de la sexualité vus sous l’angle transgénérationnel et raconte comment pouvoir en sortir. Il explique quelles sont les modalités de loyautés, de mandats, de dettes, de fantômes familiaux qui véhiculent le(s) message(s) d’un ou plusieurs traumatismes non résolus dans la famille. Il oriente sur quels outils utiliser et tout particulièrement l’arbre de vie, l’arbre transgénérationnel, le génogramme (ou génosociogramme. Enfin, l’ouvrage propose de réfléchir sur les chemins à prendre pour un mieux vivre amoureux et sexuel, ou de quelle manière cheminer quand on les connaît mais pris trop tôt ou de travers.

Un constat en point de départ

Face aux troubles de la vie amoureuse et sexuelle la société du XXIe siècle propose une multitude de réponses en sites sur le WEB, en ouvrages qui peuplent librairies et bibliothèques, en explications et méthodes spécialisées (sexologie, sexothérapie, sexoanalyse), en thérapies brèves (3e vague des TTC principalement la psychologie positive et l’EMDR avec tous ses sous-produits), en médico-pharmacologie, en recherches d’ouvertures et de performances (chemsex, polyamour, libertinage, websex…), en recherches syncrétistes ou intégratives (tantrisme, slowsex…), en réponses partielles ou anciennes voire obsolètes (pornographie, décodage biologique, psychologie dite quantique, psychanalyse classique, religions…). Pourtant, malgré toute cette batterie de solutions, très souvent les troubles et les situations difficiles se répètent, reviennent, persistent.

Que faire quand « ça » revient, quand « ça » recommence ? Quand on reste insatisfait, ne pouvant aller mieux, ne pouvant mieux vivre sa vie amoureuse et sexuelle ? Quand les violences sexuelles perdurent autour de nous, se développent sans que les élites et dirigeants ne trouvent à redire foncièrement ? Que les racines de la pédophilie, de l’inceste et de l’incestuel ne sont pas arrachées ? Que le Mal est transmis, … Que faire quand le couple vacille ? Que le parental et l’enfant prennent toute la place ? Que la question du genre vient bouleverser la famille ? Quand une pathologie chronique ou une situation de handicap s’invite sans explication, sens ni suivi ?

Le territoire inexploré

Les habitués de l’exploration de soi savent que les cartes ne sont pas les territoires. Qu’il est des espaces inexplorés qui le resteront si les clefs et leurs portes ne sont pas connues, si les cryptes restent occultées, si les citadelles restent inaccessibles.

Les fondateurs de la sexologie avaient longtemps délaissé au nom du positivisme et du rationalisme quand cette science s’est développée durant les trois derniers siècles, les outils symboliques pourtant portés au fil des générations par quelques groupes de quêteurs de savoirs et de mieux vivre contre l’Eglise et les superstitions. Leurs oublis, rejets et méconnaissances les ont amenés, philosophes, médecins comme psychanalystes à passer à côté de l’importance des transmissions générationnelles dans la vie amoureuse et intime de l’humain, de celle des autres comme de la leur. Les biographies de nombre d’entre eux montrent des transmissions dramatiques ayant eues des répercussions sur leur décisions, choix scientifiques ou constructions théoriques. Je pense par exemple à tous ces pères de la psychanalyse qui ont « glissés » avec des patientes ou en famille. De l’inceste symbolique ! « Fantôme de l’analyste » dira et écrira Bruno clavier (psychologue clinicien psychanalyste transgénérationnel) encore récemment. Je pense aussi à ces médecins coincés dans la pensée Victorienne, celle de la Belle-Epoque, incapables de reconnaître la masturbation, le plaisir des femmes autant que leur place dans le monde. Je pense enfin aux pionniers du XXe siècles troquant leurs paraphilies contre des études folles sur les pédophiles et les soi-disant « orgasmes » d’enfants comme Kinsey.

Bien sûr début du XXe non loin des féministes libertaires en mouvement, il y a un Ferenczi racontant « la confusion des langues » et de l’origine des traumatismes, des Jung et Pauli (physicien - prix Nobel) discutant d’un Arrière-Monde faisant lien entre le rationnel physique quantitatif et le psycho-émotionnel symbolique et qualitatif, un Reich promouvant l’orgasme et cherchant à capter l’« orgone » (pulsion de vie), et tant d’autres qui secouent le monde hétéropatriarcal feutré des élites conservatrices de la santé sexuelle. Mais les territoires des arbres de vie restent encore largement interdits, sous explorés voire inconnus. Sauf au sein de mouvements et groupes humains entretenant des processus, rituels, pratiques ou démarches qui les lient au « sensible » du monde, à la Symbolique, aux Racines ancestrales, aux Mythes primordiaux, aux Transmissions des hommes à celles des Femmes, aux fruits-mémoires-messages des Ancêtres. Cercles des anciens, traditions primordiales partout dans le monde et chez nous avec la Franc-Maçonnerie forestière, nous apportent réflexions, perceptions et mouvements intérieurs qui conviennent à faire bouger les lignes d’une vie amoureuse et sexuelle tourmentées ou bloquées.

Fin du XXe jusqu’à aujourd’hui, le transgénérationnel et la psychogénéalogie nous ouvrent la voie d’une certaine compréhension des cheminements des « fantômes » qui altèrent les trajectoires de vie et de couple. Soutenus désormais par les recherches en épigénétique (qui valident biologiquement certaines transmissions antérieurement pensées uniquement « psy » et donc souvent mal accompagnées) ainsi que par la psychiatrie dédiée d’une part aux violences sexuelles et de l’autre aux questionnements du genre.

Les éclairages

Ma formation universitaire en sexologie (DIUESH – AIUS) a eu le plaisir et la chance de rencontrer le transgénérationnel (Ecole du jardin d’idées – Bruno Clavier) pour compléter la perception de l’étendue du territoire à explorer avec les personnes et les couples en souffrance. Lier les deux dans une démarche clinique cohérente a demandé du temps autant que de le formaliser dans cet essai. Mais cela était essentiel afin de lutter contre la source du Mal. J’entends par là l’origine du mal sous ses multiples formes de violence et surtout la violence sexuelle faite aux enfants. Parce que cette violence se transmet ! Qu’elle soit maltraitante (VEO violences éducatives ordinaires comprises), abus, inceste, incestuel, ou abandonnique, toute atteinte à la construction de l’enfant (entre - neuf mois et la fin de la période œdipienne tout particulièrement) et à son intégrité corporelle, mentale et émotionnelle (pour ne pas aller jusque dans le spirituel) laisseront des traces qui pourront faire répliques, se répéter et être transmises de manières et de formes différentes quelquefois symboliques dans leur environnement présent et sur leurs enfants.

La sexoanalyse transgénérationnelle apporte un éclairage et une démarche d’accompagnement qui peut participer à soigner autant que prévenir les sources de ce mal profond de l’humanité parce qu’elle prend en compte les mythes primordiaux et leurs déclinaisons multiples ainsi que les structurations familiales et leurs développements socio-culturels. Elle analyse les loyautés, les mandats, les dettes, les cryptes, les trajectoires des fantômes, leur cheminement et leurs destinés. Qui sont sept apparaissant dans les études cliniques transgénérationnelles et sexologique :

  1. Une actualisation du traumatisme
  2. Des pathologies psychiques
  3. Des pathologies somatiques
  4. L’expression via la création artistique
  5. Le soulagement par une profession spécifique
  6. Les mécanismes de défense(s)
  7. La clarification, l'intégration psychique en thérapie transgénérationnelle

Elle recherche aussi à clarifier les expressions des transmissions dans quatre sombres et tristes flux traumatiques que l’on retrouve en versus positif et lumineux dans leurs dynamiques érotiques :

  1. Faire à l’autre (ou à sa représentation, son symbole, sa projection)
  2. Se faire à soi-même (sur l’un ou tous les niveaux de l’être)
  3. Recevoir (subir directement ou symboliquement)
  4. Être témoin (recevoir sensoriellement – 5 sens, participer symboliquement)

Elle assiste la résilience nécessaire et essentielle à l’installation d’une nouvelle trajectoire de vie épanouissante dans la vie amoureuse et sexuelle.

L’origine du Mal

Extraits de l’essai :

« Tout se passe comme si la société leur demandait de disparaître, d'effacer les traces des violences, d'oublier leurs traumatismes. Il faut se rendre à l'évidence, les victimes sont gênantes, très gênantes... » dit Muriel Salmona (psychiatre) dans son second « Livre noir des violences sexuelles ».

Selon l'OMS (chiffres de 2014 cités par M. Salmona dans son ouvrage « le livre noir des violences sexuelles ») 20% des femmes et de 5 à 10% des hommes déclarent avoir été victimes de violences sexuelles étant enfants. Le chiffre monstrueux d’un milliard d'enfants ayant subi des maltraitances physiques, psychologiques ou sexuelles est avancé pour l'année 2015 (OMS). Un septième de la population humaine ! Ces chiffres peuvent même être en dessous de la vérité quand on pense à l'amnésie traumatique qui protège l'enfant victime, de la folie ou de la mort. … Parmi les violences faites aux enfants, qui génèrent des fixations dans la mémoire et l'inconscient familial, je relèverai en premier lieu, l'inceste, l'incestuel et les violences sexuelles. … Les effets traumatiques du comportement incestuel sont identiques à ceux de l’agression directe. Il y a abandon de l’enfant par le parent. L’enfant ou le jeune vit ce moment de la même manière que s’il était « touché » directement, sali, intrusé, violenté, trahi… Dans le prologue, souvent repris, du livre (« l’inceste et l’incestuel ») de PC. Racamier, il dit : « L'incestuel qualifie ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale porte l'empreinte de l'inceste non fantasmé, sans qu'en soient nécessairement accomplies les formes génitales. (...)L'incestuel est en quelque sorte pris en tenaille entre l'inceste fantasmé et l'inceste génitalement accompli. Son aire, singulière, est spécifique (et plutôt que d'une aire, faudra-t-il parler d'une faille). » …

Nous trouvons des traces de cette transmission dans tous les génogrammes : incestes et incestuel, agressions, abus sexuels, VEO, carences et maltraitances. Mais aussi excisions, circoncisions non médicales, mariages forcés, injonctions scolaires. Avant l'adolescence, l'enfant enregistre tout et il reproduira. Surtout durant ses trois premières années. Si le monde est violent, il le sera à son tour. Si on lui a fait du mal, il le rendra ou fera de même, sauf nettoyage thérapeutique et/ou éducatif sur plusieurs générations. Pas de déterminisme… tout est réversible surtout avant la fin de l’adolescence. Les abus sexuels et les incestes demandent justice. Celle des parents, de la famille et de la collectivité dans son ensemble. Si elle n’est pas donnée, cela endette la famille. Cette dette sera transmise d’une génération à la suivante et sera symbolisée, soit par répétition (victime familiale abusée à nouveau ou membre de la famille devenant abuseur) de l’acte afin de le mettre en lumière et qu’on s’en occupe, soit par des pathologies du corps et de la vie sexuelle qui racontent la souffrance. Les liens de causalité entre ces traumatismes et la symptomatologie sont établis depuis plus d’un siècle.

Elle est déjà décrite par les pères de la psychanalyse, Freud, le premier, quand bien même ses suiveurs reviennent dessus (fantômes des analystes) et que ses disciples parlent de fantasmes par la suite. Les données actuelles closent ce débat. Et pour reprendre le dicton, « qui ne dit mot consent », certains d’entre nous deviennent complices des agresseurs par leur silence.

Pour exemple de trajectoire et illustrer le « travail » possible à faire avec l’approche SATG je propose une vignette clinique (utilisée dans l’essai) d’une situation que j’accompagne depuis quelques temps. Dans mon premier roman « En remontant le fleuve » (Editions Itinéraires déc. 2018) j’explorais dans les mêmes thématiques, les violences sexuelles et le mal fait aux enfants, le cheminement de plusieurs familles en remontant jusqu’à dix générations. La facilité de la fiction amène à pouvoir jouer de cette manière. Néanmoins, pour présenter la SATG, je préfère partir de ce que je travaille le plus fréquemment, d’une manière réaliste et pragmatique, sur quatre générations. Ici il s’agit d’une mère de famille Ty d’une quarantaine d’année issue d’une famille que je qualifierais d’abandonnique dont voici un génogramme partiel sur cinq générations :

Les « A » indiquent les lieux du génogramme où la consultante a rencontré un élément abandonnique (parent inconnu, abandon de famille, décès, abus sexuel, inceste, situation incestuelle, infanticide « involontaire ») dans les deux lignées, maternelle et paternelle. C’est le père « E » de la consultante qui porte à priori le fantôme le plus toxique en expressions. « L’ordure ! qu’il crève !» Le monde, un monde, son monde s’effondre sous ses pieds ! Un monde que la mémoire traumatique dans son amnésie protectrice avait jusqu’ici protégé. Comment la parole de cette femme (« Ty » dans l‘arbre) de plus de quarante ans peut-elle résonner ainsi contre un père (« E » dans l’arbre) dans un cabinet de sexologue alors qu’elle n’a pas été factuellement incestée et que la justice ne pourra sûrement rien en dire ? Elle vient initialement consulter pour des troubles dans sa vie intime et du coup dans la relation du couple qui est de fait en difficulté.

Son cri est la découverte au milieu de sa vie alors maman, de la salissure, de la tâche originelle qui a abîmé sa construction de petite fille, son périple de jeune femme et sa vie de femme mature. Son père qu’elle idolâtrait est un pédophile ! Qui plus est, incestuel au sein du foyer. En quelques années, ont ressurgi des éléments mnésiques « cachés » (mémoire traumatique ou refoulement) au cours de partages avec sa sœur « N » (dans l’arbre), qui vit des symptômes similaires, et avec d’autres victimes de son père (en famille ou chez des amis), salies eux-aussi enfants ou jeunes à peine pubères.

La différence entre les petites victimes devenues grandes réside dans des situations et ambiances chez l’une, des attouchements chez d’autres, des passages à l’acte ailleurs. Ces ambiances en famille furent « symboliques », ce qu’on nomme l’incestuel. Abus ou incestuel, les symptômes de ces traumatismes de l’enfance sont identiques dans les deux cas.

Comme ils sont trop nombreux pour tous les lister, qu’il y ait eu passage à l’acte ou situation symbolique, je ne présenterais ici que les plus évidents, ceux vécus par « Ty » :

  • Dysmorphophobie ou détestation de son corps avec maltraitances de celui-ci (troubles alimentaires, addictions, piercings et tatouages nombreux)
  • Anaphrodisie (qui n’entrave pas systématiquement l’accès à l’orgasme mais désintéresse de l’érotique et du plaisir sexuel) et évitement de l’imaginaire érotique avec culpabilité
  • Dissociations durant les rencontres intimes
  • Déplacement de l’attention sur les écrans et réseaux sociaux
  • Déplacement de la pulsion de vie sur les identités nourrissantes et non dangereuses de « maman » et « professionnelle de la relation » (travailleuse sociale)
  • Choix de partenaires et amis infantiles (mal construits comme « papa » et « maman ») ou sauveurs reconstructeurs, soignants
  • Mises en danger (abus, abandon, trahison, adultère, agressions, hygiène de vie, …)
  • État dépressif chronique avec somatisations de défense (eczéma, asthme, mycose, …)
  • Ménorragie

Pour ces symptômes, tous pris séparément, il est possible, et elle le faisait, de leur donner une explication, une origine dissociée les unes des autres. Possible aussi de leur trouver une origine contextuelle, environnementale, d’accuser l’autre, le conjoint, le monde autour… de cherche une pathologie… en vain bien sûr (mais si rassurant à court terme). Quant à ses enfants déjà adolescents, au-delà de la crainte que des abus aient eu lieu, ils disent n’en avoir pas souvenir, on peut déjà observer des commencements de répliques comportementales dans leur relation à eux-mêmes, aux autres et au monde : dissociation-déplacements-isolation dans le virtuel, anaphrodisie-questionnement du genre et de l’homosexualité, asociabilité, dysmorphophobie-maltraitance du corps... Qui méritent d’être discriminés et relativisés au regard de la période adolescente et de l’époque actuelle propice à la fuite dans le virtuel, l’appétence pour les réseaux sociaux la recherche de niche humaine. L’analyse de l’arbre sur quatre générations (pas celle de ses enfants qui est la première) et la récolte d’informations auprès de quelques membres de la famille acceptant de raconter permettent à « Ty », au travers des traumatismes identifiés, de suivre la trajectoire du fantôme qui parle, s’exprime, raconte le mal et le fait au sein de sa chair. L’ogre (« E ») est le fruit dit fantasmé-incestuel (sûrement incestueux bien réel mais le déni est trop fort et cela se comprend pour la « sécurité morale » de la famille) d’une de ses demi-sœurs (orphelines de mère donc sans réelle transmission féminine et n’aimant pas la nouvelle femme – déjà une de ses maîtresses - de leur père devenu veuf) avec un père « Mi » lui-même orphelin (avec parents adoptifs), multi adultérin, veuf, toujours absent, notable mafieux dans sa ville, abandonnant un fils (décès par maladie) à l’âge de quinze ans qui idolâtrait cette puissante image paternelle. La demi-sœur dit : « je considérais « E » comme mon fils ». C’est en effet avec elle que « E » a le plus de lien.

Ce creuset familial est une forge à perversion, à pédophile incestueux :

  • Climat incestuel ou incestueux – Pas d’interdits fondamentaux posés
  • Peur de l’abandon, de la mort – Régression infantile ou adolescente
  • Absence de racines et de transmissions – Pas de ressources ni de ligne du temps
  • Père fantasmé idolâtré – Modèle parental biaisé sans triangulation efficiente
  • Mère (déclarée) effacé – Modèle parental biaisé sans triangulation efficiente
  • Sœur-maman omniprésente – Inceste/incestuel – Œdipe avec la sœur-mère

Pour ne pas mourir, ne pas disparaître et ne pas être abandonner, puisque le passé-avant n’existe pas et que l’avenir-après est inconnu, sans direction, PEUR ! Il faut rester avec les plus jeunes et partager la pulsion de vie, plaisir et sexe avec eux…ne pas bouger…ne pas grandir ! Ça a été la mission de « E ».

Comment « Ty » peut-elle sortir de ce carcan en double contrainte (le monstre est/hait le père). De cette crise existentielle majeure ! Car il est vrai que le « travail » (tripalium pour de vrai) continue pour « Ty ». Confronté, l’ogre dénie et prend refuge en une « bulle sécure » propre aux pathologies de la perversion. Alors clarifier, analyser pour situer le mal et le comprendre certes mais aussi faire résilience afin de vivre en paix plutôt que de survivre.

Résilience

Cinq étapes sont à prévoir (accompagnés ou non) pour viser une sortie de la crise existentielle générée pas l’abus incestuel et prendre un nouveau chemin de vie.

  • Première étape: retrouver le pouvoir de nommer le mal fait (le message du fantôme, la mission imposée) et la volonté de ranger les évènements traumatiques (être acteur(trice), car rien ne peut pas être effectué par autrui ou par une médication aussi magique soit-elle présentée). Cela demande d’affiner l’arbre transgénérationnel en questionnant en soi la mémoire familiale, l’inconscient familial (qu’importe la méthode : psychophanie, médium, hypnose, constellation familiale, rituel chamanique, …). « Ty » doit rencontrer son grand-père paternel « Mi » en elle afin de situer l’épicentre du traumatisme. Qu’est-ce qui n’a pas été nommé ? Qu’est ce qui s’est passé ici en quatrième et cinquième génération dans cette lignée ? Démarche associée à un suivi clinique psycho et sexothérapeutique ainsi que l’éviction totale (mort symbolique) du parent ogre-bourreau « E » (sans esprit de vengeance, sa dénonciation si possible à la famille et à la société-justice afin d’éviter d’autres potentielles victimes car même vieillissant, il peut toujours nuire, la pédocriminalité le montre quotidiennement).

  • Deuxième étape: accepter, de n’être pas responsable de ce père-là, de n’être pas responsable du mal qu’il a fait, de ces nombreuses victimes, et accepter d’être l’une d’elles pour couper le flux générationnel afin de protéger ses propres enfants.

  • Troisième étape: faire une répartition harmonieuse de son énergie attentionnelle (pulsion de vie) entre ses différentes identités (femme, maman-mère, conjointe, sœur de, fille de, professionnelle) pour que toutes aient droit de jouir de la vie.

  • Quatrième étape: changer les éléments symboliques faisant référence au cadre antérieur tels que le métier (identique à celui du père comme sa sœur l’a fait aussi), ses noms et prénoms, ses activités extraprofessionnelles éventuellement voire les relations amicales qui auraient du mal à accepter le mal fait (risque pour le conjoint d’être quitté ou éliminé).

  • Cinquième étape: vivre dans l’acceptation du plaisir de jouir du bonheur d’être libre et créer en soi le désir du plaisir des sens, le partager en amour dans la seconde partie de sa vie et, enfin, transmettre à la génération suivante dans sa lignée de femme (ou d’homme ailleurs et je me questionne encore quant aux no-genre…)

Les deux sœurs sont encore dans la tourmente, elles changent radicalement de métier et de secteur d’activité, elles témoignent de leur parcours blessé, ont totalement isolé l’orge de l’accès à leurs familles respectives et à leurs enfants (qui sont de fait détachés du fantôme et ne peuvent plus en subir l’énergie), mettent leurs pathologies et troubles en perspective avec la trajectoire du fantôme en elles, … bref, elles turbinent dans la première étape et perçoivent la seconde toute en s’appuyant sur des changements des éléments du décor que je voyais plutôt venir en quatrième étape. Qu’importe, rien n’est jamais figé. Tout cela est de la pulsion de vie et chacun(e) avec des ingrédients-outils similaires va faire sa ligne de vie à lui, une fois libre de l’énergie de ses fantômes.

En guise de conclusion

Aldous Huxley écrivait dans « les portes de la perception : « Vous pouvez avec certitude améliorer un seul petit coin de l’univers : vous-même. »

La première citation, celle de Chamfort, en début d’ouvrage laisse à penser que tous les efforts des chercheurs du soin humain, les bienfaiteurs théoriciens comme praticiens, investissent les territoires de leurs analyses ou de leur méthode clinique sans toutefois pouvoir (ou vouloir ?) pénétrer certaines forteresses de l’être en souffrance. Idéologies, dogmes et manque de connaissances, de savoirs ou impensées transgénérationnels creusent des fossés tout autour de celles-ci. Aussi, ces quelques pages sur une sexoanalyse transgénérationnelle ambitionnent-elles d’avoir éclairé des ponts et marches d’accès aux parvis de quelques donjons fortifiés, de citadelles, de ces cryptes habitées de fantômes, de vie pulsionnelle. Cela ne plaide pas pour une prétention à pouvoir les pénétrer ni intégralement, ni toutes. Plus humblement, en suivant Aldous Huxley, nous pouvons penser que cela accompagne la montée (ou la descente) des premières marches, ouvrant l’accès, et au soin, à ce coin d’univers de soi qui reste une affaire très personnelle, très intime, la sexualité.
Car la vie amoureuse et la santé sexuelle qu’elle accompagne sont d’une puissance et d’une sensibilité telles qu’il est toujours compliqué de les réduire à des suites de mots, quelle que soit la complexité conceptuelle proposée, même pour tenter d’en nettoyer leurs maux. Leur territoire est si vaste en gammes d’expressions, autant que les expressions sensorielles et artistiques qui les croisent ou les visitent par ailleurs, et si unique, ramené à chaque être vivant de quel qu’âge qu’il ait, que nous devons garder à l’esprit l’espace spécifique, et peut-être toujours restreint, qu’occupe le faisceau éclairant en sexoanalyse transgénérationnelle. Du moins en début de voyage. Après, au fil de l’inventaire des peuples autochtones qui nous habitent et de leurs paysages quotidiens comme historiques, le faisceau prend de la hauteur et donc s’élargit pour mieux appréhender ce qui s’y niche. …»

L'auteur

Thierry BUNAS

Thierry BUNAS

Analyste Transgénérationnel - Sexologue

Clinicien : Certification en psychosomatothérapies/sexothérapies, diplôme de sexologue universitaire, certification en analyse transgénérationnelle/arbre transgénérationnel, diplôme sur les violences sexuelles & EMDR, Auteur : 2018 roman transgénérationnel "En remontant le fleuve", 2020 essai "Le petit traité de sexoanalyse transgénérationnelle" et un second essai sur les personnes Transgenres automne 2021. Formateur : secteur pro du médicosocial. Marié avec 5 enfants