Un article de Pierre RAMAUT publié le 16 octobre 2013

Nous allons tous mourir et pourtant ...

Nous sommes des êtres qui allons mourir un jour et malgré cela, pour la plupart, nous nous conduisons comme si nous étions éternels. Pourtant, la seule façon d’avoir prise sur nos propres actes est d’accepter lucidement cette réalité de notre propre mort, de laquelle nous nous laissons distraire si facilement.

Sans cette conscience essentielle de notre finitude, notre vie et nos comportements sont impossibles à gérer. Ce défaut de lucidité est loin d’être sans conséquences. Parmi celles-ci, plusieurs sont à la racine de grandes souffrances et sur lesquelles nous pouvons pourtant agir concrètement:

  • le déni de la réalité de la mort,
  • l’écroulement du sens de l’existence pour de nombreux pensionnaires de certaines maisons de retraite,
  • l’interdiction de mourir,
  • la solitude et la souffrance des mourants… mais aussi des soignants,
  • la fragilisation due au deuil et l’intolérance sociale qui y est associée,
  • la déréliction des rites funéraires,
  • l’absence de transmission entre les générations,
  • ...

La fin de vie, la mort et la psychanalyse transgénérationnelle

L’inconscient se transmet au même titre que les gènes; cette hypothèse d’une transmission psychique entre les générations suscite des réflexions depuis déjà longtemps, et les tenants de plusieurs écoles psychanalytiques se sont penchés sur cette question. Voilà ce qu’en dit Jung :

J’ai compris l’étrange communauté de destin qui me rattache à mes ancêtres. J’ai très fortement le sentiment d’être sous l’influence de choses et de problèmes qui furent laissés incomplets et sans réponse par mes parents, mes grands-parents et mes autres ancêtres.
Carl Gustav Jung, « Ma vie »

Quant à Freud, qui s’est pourtant tenu très a distance du transgénérationnel pour des raisons de fantômes familiaux tant maternels que paternels (développer ce sujet demanderait d’y consacrer un article à part entière et ce n’est pas mon propos aujourd’hui), il a écrit cette phrase très surprenante!

Nous postulons la possibilité qu’un sentiment se transmettrait de génération en génération se rattachant à une faute dont les hommes n’ont plus conscience ni le moindre souvenir. Sigmund Freud, « Totem et tabou »

La psychanalyse transgénérationnelle nous enseigne que les événements douloureux que nos ancêtres n’ont pas correctement métabolisés et intégrés, - tous leurs secrets, leurs traumatismes, leurs tâches inachevées - peuvent avoir un effet préjudiciable sur la vie des descendants et que souvent, ces problèmes non résolus et ces tâches inachevées devront être repris par certains descendants.. Dans la catégorie des « tâches inachevées » nous trouvons en bonne place les deuils non faits, et le danger qu’ils représentent pour la santé mentale des lignées.

Nos souffrances et dysfonctionnements sont souvent le résultat de traumatismes non parlés et non digérés et de deuils non faits.
Anne Ancelin Schützenberger

Toutes les grandes traditions de sagesse soulignent l’importance d’entretenir le lien avec les ancêtres, d’honorer leur mémoire et de continuer ce qu’ils n’ont pas réussi à accomplir.

Pour la pensée chinoise traditionnelle, il existe des liens entre l'ancestralité et ses effets sur la vie de l'individu, comme le résume un proverbe très ancien :

Pour connaître une personne, il faut connaître sa généalogie sur neuf générations.

Les taoïstes considèrent également qu'un "mandat" nous est donné par le Ciel et qu’il se transmet de génération en génération, passant à travers l'existence singulière de chacun d'entre nous. Ce « mandat transgénérationnel » concerne chacun de nous, derniers maillons de notre lignée, nous qui vivons aujourd'hui, ici et maintenant ; c'est à nous qu’il incombe à la fois de décider de notre destin et d’honorer notre mandat. Nous naissons avec un projet de vie certes personnel, mais tout de même relié à notre héritage familial.

L’enseignement traditionnel amérindien insiste lui aussi sur cet aspect:

Les difficultés psychiques d’un individu sont toujours à la base d'un lien défectueux, tout autant avec ses proches, ses parents, ses ancêtres et l'univers qui nous entoure qu'avec son passé et son futur

Je m’en tiendrai à ces quelques exemples mais il y en aurait une quantité d’autres. C’est surtout grâce au travail et aux recherches du psychanalyste Didier Dumas, fondateur de l’association Le jardin d’idées à Paris et auteur de plusieurs ouvrages de référence dans le domaine de la psychogénéalogie et de la psychanalyse transgénérationnelle, que j’ai compris que la façon dont nous pensons la mort et vivons nos deuils familiaux joue un rôle important dans notre construction psychique et notre évolution mentale mais la mort est l’objet d’un déni grandissant dans notre société et l’on constate une absence de réflexion sur la fin de vie, alors que:

dans l’esprit humain, le sexe et la mort sont aussi indissociables que le sont le temps et l’espace dans la théorie d’Einstein. Didier Dumas

Pour Didier Dumas, chercheur infatigable et véritable pionnier de l’approche transgénérationnelle, « l’être humain construit ses représentations de sa propre mort en enterrant les gens qu'il aime, et plus particulièrement ses grands-parents et ses parents » et « la compréhension et l’intégration de la mort sont essentielles pour la construction psychiques des enfants et donc forcément des adultes qu’ils deviendront ».

Il est donc crucial que les vivants puissent dire au revoir à leurs défunts dans les meilleures conditions possibles. La qualité des funérailles, ce qui s’y passe et ce qui s’y dit, doit permettre aux personnes qui y assistent d’élaborer leur propre représentation de la perte. C’est la seule façon pour qu’une transmission saine et vitale puisse s’établir entre les générations.

Après le décès de Didier Dumas, Bruno Clavier, psychologue clinicien et psychanalyste transgénérationnel, a repris le flambeau et continué son travail de recherche et d’enseignement. Dans son livre intitulé « *Les fantômes familiaux *» il insiste lui aussi sur l’enjeu essentiel que représente la question de la mort pour les enfants, et surtout sur la façon dont ils perçoivent qu’elle représente pour leurs parents.

Aussi, la question, sans cesse posée par un enfant en ce qui concerne la mort, exige qu’il soit au courant de la croyance que peuvent avoir ses parents à ce sujet, même si ceux-ci sont profondément matérialistes. Qu’ils lui disent simplement ce qu’ils en pensent est ce qui importe: cela signifie qu’il y a donc quelque chose qui puisse être parlé par des adultes. Dans le cas contraire, l’absence de mots met l’enfant devant un vide de représentation qui peut le bloquer dans son évolution. Si une parole sur la mort lui est donnée, même si ses parents disent qu’ils en ont peur, l’issue ultime de la vie devient concevable pour lui. D’abord parce qu’il peut distinguer ses représentations de celles de ses parents, et ensuite, parce que ce qui peut être parlé humanise notre condition et la rend acceptable. En effet, on ne peut vivre que parce qu’il y a la mort: s’il y a une fin, alors il y a un début et un trajet entre les deux, qui n’est rien d’autre que le chemin de l’existence. Bruno Clavier, « Les fantômes familiaux »

Le déni de la mort dans notre société génère beaucoup de souffrances psychologiques et constitue un enjeu majeur de santé mentale !

Malgré l’importance flagrante de ces enjeux, force est de constater que notre société encourage de moins en moins les différents rites, protocoles et cérémoniaux qui permettraient aux adultes de symboliser correctement ce passage de la vie à trépas, d’en parler entre eux et à leurs enfants.

Interdiction de mourir !

La médecine occidentale est une médecine dans laquelle il est, d’une certaine façon, interdit de mourir. Comme elle bénéficie d’une technicité de pointe, elle a tendance à faire vivre arbitrairement les mourants, ce qui a pour danger d’empêcher les vivants de pouvoir leur dire au revoir. Didier Dumas

La mort est devenue dérangeante, inopportune. Elle a quitté le domaine du quotidien pour entrer dans celui de l’imaginaire et surtout du refoulé. Événement autrefois ordinaire, survenant souvent au domicile des personnes, la mort est le plus souvent repoussée dans l’espace clos de l’hôpital, donnant une place prépondérante à la médicalisation dans la toute dernière phase de la vie.

Au sein des sociétés modernes, la mort ne fait pas l’objet d’un tabou (contrairement à l’inceste ou au cannibalisme) mais d’un véritable déni : depuis le début du XXe siècle, elle a été partiellement chassée du « paysage cognitif » des populations occidentales.

Il s’agit d’un phénomène sans précédents, dont l’aspect principal est l’importance démesurée qu’ont pris la science et la technique. Les incroyables avancées dans le domaine médical donnent de plus en plus l’impression que la mort peut être indéfiniment repoussée.

Ces progrès techniques, qui avancent de pair avec l’affaiblissement des croyances religieuses, ont engendré une mutation des mentalités et un abandon progressif des pratiques symboliques traditionnelles, désormais jugées dérisoires.

Déni de la réalité de la mort !

Pour tout être vivant, la mort est une réalité inéluctable: sa vie s'achèvera tôt ou tard par une mort définitive. Cet aspect de l'existence est un des défis les plus difficiles que la vie nous propose. Il peut sembler totalement désespérant et absurde à celui qui refuse d'y faire face et de l'assumer complètement. Mais pour celui qui parvient à accepter vraiment cette réalité, c'est toute la valeur de la vie, du présent, des relations interpersonnelles et du développement personnel qui se trouve changée. Jean Garneau, psychologue

Lorsque les évènements tels que la maladie ou l'accident nous obligent à considérer notre mort comme une réalité possible voire imminente, nous nous sentons automatiquement plus vivants et plus sensibles à ce qui compte vraiment dans notre vie. Nos priorités changent pour faire place à ce qui nous semble essentiel. Nous jetons un regard plus critique sur des choses qui nous semblaient très importantes auparavant et décidons de nous concentrer sur nos valeurs prédominantes, sur ce qui nous importe réellement. Voilà bien un curieux paradoxe : c’est au moment où nous devenons conscients de la mort qui s’approche que nous nous sentons le plus vivants

Solitude et souffrance des mourants… mais aussi des soignants!

En cherchant à éliminer les signes les plus visibles de la mort, en occultant le plus possible son éventualité, nos sociétés occidentales l’ont coupée de l’expérience de la vie. Norbert Élias, grand écrivain et sociologue allemand, a même affirmé qu’un « refoulement des mourants » s’est opéré et qu’il perçoit dans le regard contemporain un sentiment de honte et une répulsion vis-vis de ceux qui sont en train de mourir, qui sont portés à se retrancher dans un état intermédiaire « derrière les coulisses de la vie normale ». Ce phénomène s’accompagne d’un manque de formation du personnel soignant, souvent désemparé et impuissant face à des fins de vie qu’il ne sait pas affronter. Dans ce domaine il y a vraiment beaucoup à faire, car cette attitude des soignants ne facilite pas la tâche des mourants. Elle ne facilite pas non plus celle de leurs proches, qui voudraient être proches du mourant, recueillir ses derniers mots, et se sentent souvent frustrés dans leur désir légitime d’échange et de transmission. Pourtant quoi de plus simple et quel meilleur « accompagnement » que de simplement écouter et de tenir la main de quelqu’un qui s’en va ? La compassion ne s’apprend pas.

Le deuil, période de fragilisation et d’intolérance sociale !

Autre paradoxe qui mérite d’être souligné: plus on réfléchit sur la mort et la perte, mieux on arrive à sortir du deuil. Un travail de deuil fait avec soin est le meilleur garant du non-oubli. Il nous permet de remplacer l’absence extérieure du défunt par une présence intérieure. Malgré la nostalgie que nous pouvons avoir de lui, le défunt n’est pas oublié, « *ce n’est pas un absent *» comme le dit Saint Augustin, mais une présence invisible et intériorisée à laquelle nous pouvons nous adresser chaque fois que nous le souhaitons.

Mais la société ne fait rien pour nous aider. Nous sommes priés de rester dignes dans la douleur, de ne pas nous plaindre, de vite redevenir « comme avant » et « en forme » parce que « la vie doit continuer ». Pourtant chaque personne en deuil devrait pouvoir vivre, autrement que dans la solitude et dans l’incompréhension de sa grande souffrance, sa lente transformation personnelle.

Déréliction des rites funéraires !

On juge une société à la façon dont elle enterre ses morts A. Sanon

Les anthropologues considèrent généralement que les rituels funéraires sont un des fondements du passage de la vie sauvage à la civilisation. De tout temps et dans toutes les cultures, le respect de la personne humaine s’est toujours étendu au-delà des confins de la vie corporelle.

La cérémonie des funérailles permet à la famille et aux proches d’entamer le travail de deuil par un adieu au défunt. Si cette dernière n’est pas correctement ritualisée, l’absence du défunt risque de créer des blocages au sein de la famille qui « ruminera » sur plusieurs générations le passage manqué… Anne Ancelin Schutzenberger

Jadis, nous avions des rites réparateurs de séparation et de deuil. Ces rites, que l’on retrouve sous une forme ou sous une autre dans toutes les sociétés traditionnelles, ne sont plus guère pratiqués de nos jours. L’incinération laïque est une pratique de plus en plus courante, mais elle manque cruellement de rites spécifiques et personnalisés. Il serait pourtant moins difficile et moins douloureux de mettre le mort à sa juste place dans notre souvenir, de dénouer lentement les liens, un par un, de pouvoir explorer toutes nos émotions douloureuses et d’avoir le temps de les vivre avec l’intensité qu’elles méritent. Refouler ces émotions conduit inévitablement à un évitement du deuil et peut gravement fragiliser notre personnalité future et celle de nos descendants.

Comment y répondre ?

Face à des constats aussi inquiétants, j’ai voulu réfléchir à des solutions concrètes pour pallier à ces carences. Au fil de ma réflexion et des échanges que j’ai eu avec de nombreuses personnes confrontées à des situations souvent difficiles et douloureuses, un ensemble de propositions a vu le jour :

Accompagner la fin de vie

Ce n’est pas une loi qui amendera les consciences… Par contre, on peut craindre qu’elle freine les efforts des soignants pour améliorer leur pratique, pour la penser, pour inventer une manière d’être humble et humaine auprès de ceux qu’on ne peut plus guérir. Marie de Hennezel

C’est en donnant aux malades la possibilité de se raconter -et de se faire raconter par d'autres- face à la maladie, à la souffrance existentielle et à l’éventualité de la mort, à travers la « mise en mots » d’une vie et d’une expérience - récit de vie, récit de soi, récit de son histoire de vie- que la relation d'aide peut trouver un nouveau sens. Ce dispositif peut être adapté aux soins palliatifs et aux personnes gravement malades et en fin de vie.

Pour être comprise et partagée, la souffrance doit être exprimée

L’hygiène de la mort est une hygiène de la parole. Elisabeth Kübler-Ross

Cette phrase signifie que l’on ne peut pas bien mourir si l’on part avec « quelque chose sur le cœur ». Il faut donc rappeler à nos médecins et à tous les soignants en général, que les vivants doivent pouvoir dire au revoir à ceux qui s’en vont et que ceux qui s’en vont doivent se sentir autorisés par les soignants et par leurs proches à parler avec eux de la mort qui les attend.

Pérenniser la mémoire du défunt à travers son histoire

Le devoir de transmission répond au souci de faire parvenir aux descendants le magnifique cadeau intergénérationnel qu’est l'histoire des membres de la famille. Cette démarche en plus d’être foncièrement humaine est aussi hautement prophylactique car elle encourage la bonne santé mentale des filiations. L’histoire et l’expérience du défunt - tout ce que l’on pourrait appeler son « œuvre »- doivent donc être transmises et pérennisées car l’absence de transmission est la négation même de la vie et de la croissance normale d’une famille. Quoi de plus logique que d’appliquer les extraordinaires ressources de l’outil informatiquepour retracer son chemin de vie et ses liens familiaux ? Les moyens multimédias me sont tout naturellement apparus comme une opportunité à saisir. L’idée est de se concentrer sur l’évolution d’un individu en tant que personnage principal de sa propre vie, de sa naissance à sa mort.

Replacer l’histoire du défunt dans son contexte

La notion de filiation concerne bien évidemment notre relation aux ancêtres, mais elle doit aussi être envisagée par rapport au monde dans lequel nos aïeux ont vécus.

D’une génération à l’autre, un événement n’aura pas du tout le même statut, la même signification ni le même impact émotionnel. Pour pouvoir construire une juste représentation de notre propre vie ou de celle d’un autre -ami, parent proche ou ancêtre- il faut la resituer dans son temps et dans son lieu et pouvoir la mettre en relation avec les différents contextes dans lesquels elle s’est déroulée, comme par exemple,les mythes familiaux, les valeurs,les idées religieuses de l’époque, les idées politiques, l’économie et les classes sociales, le mode de vie, le type d’habitat, les métiers exercés, les loisirs, etc.

Pour saisir toute la signification de cette vie, pour l’interpréter - car c’est aussi de cela qu’il s’agit-, il faudra aussi mettre en relation cette existence avec d’autres personnages, ceux de l’arbre généalogique évidemment mais aussi les autres personnages qui n’appartiennent pas nécessairement à la famille mais qui ont comptés pour la personne ou eu une influence sur elle. Grâce à cette contextualisation, la pensée pourra se faire une nouvelle représentation du personnage ou de l'événement passé en (re)traitant les informations obtenues, et élaborer ses propres conclusions.

Le processus de deuil doit commencer avant le décès du proche

Pour la famille, le processus du deuil doit commencer au moment où le malade comprend qu’il est condamné. Loin d’être mortifère, cette attitude constitue une mesure préventive pour la santé mentale des futurs endeuillés et de leurs descendants. Le travail de deuil passe par différentes étapes, que l’on peut faire coïncider avec les stades d’évolution par lesquels est passé le mourant. Parallèlement et complémentairement, les familles devraient être accompagnées dans leurs questionnements à propos du mourant, afin de faire le lien entre les questions des uns et les réponses des autres, car chacun a sa propre vision des choses, chacun a sa vérité. Cette démarche permettra d’éviter les anachronismes, les incompréhensions, ou de trop grands décalages entre les différents regards, les différentes visions des choses. ** **

La famille doit être au centre des funérailles

Lors de la préparation des funérailles, la famille doit pouvoir se donner le temps de la réflexion, du choix des textes, des musiques et des intervenants qui accompagneront le départ du défunt : c’est d’abord à la parenté que la cérémonie est destinée et elle doit avoir le plus de sens possible pour chacun des membres de la famille.

Aucun des proches ne devrait rester passif, tous devraient pouvoir devenir les acteurs des funérailles. Quoiqu’il ait pu se passer pendant la vie du défunt et dans les relations que nous avons eues avec lui, il est fondamental d’associer les bons, les beaux et les mauvais souvenirs au moment de l’adieu. C’est un moment privilégié, à forte charge symbolique, où il faut parler vrai, juste, et pouvoir dire ce que l’on a sur le cœur.

Oser de nouveaux rites et un nouveau type de cérémonie

Il faut aussi savoir vivre avec son temps. Pendant des millénaires les rites funéraires ont toujours été liés à la religion, ce qui n’est plus toujours le cas dans notre monde contemporain, où le choix de l’athéisme et d’une vision agnostique de l’existence peuvent modifier la prise en compte des derniers instants de la vie et devraient permettre l'émergence d'un nouveau type de rites et cérémonies.

Accompagner le travail de deuil

Sans ce travail, nous risquons de nous enliser dans le refus de la disparition d’un être proche et aimé. On entend souvent dire qu’il n’y a pas de mots pour exprimer la souffrance de la perte et ce mal-être qui perdure. Le travail du deuil est inconscient et donc involontaire. Ceci n’empêche pas qu’un travail conscient soit également possible, à condition de se faire aider ou accompagner par une personne formée à ce type de situation. L’expression des émotions est indispensable pour intégrer, dépasser, surmonter un deuil. Comme le savaient bien les anciens, le travail de deuil est nécessaire à l’équilibre et à la santé de tout un chacun.

Clôturer collectivement le deuil

La dernière phase du travail de deuil est celle de l’acceptation et de la pacification. Clôturer le deuil, c’est être en paix (avec soi-même et avec le défunt) et se défaire de ses liens. Ceci demande du temps. La personne endeuillée doit s’autoriser à vivre sans l’absent et s’inventer une nouvelle existence. Du point de vue physique, l’absence est réelle mais elle n’est pas totale. Le problème essentiel est de bien distinguer entre un effort de résignation et un travail d’intégration de la mort de l’être cher dans la vie de celui qui reste et qui doit vivre avec cette mort, ce vide, cette absence définitive. Se résigner parce qu’on ne peut rien y changer n’est pas la bonne solution, il faut élaborer l’absence du mort, le retrouver en soi et se retrouver en lui : il s’agit d’instaurer un dialogue, pour qu’une nouvelle relation (symbolisée) avec le disparu puisse s’instaurer. La restructuration intérieure pourra ainsi s’achever. Mais avant de réintégrer complètement la vie, l’endeuillé peut ressentir le besoin de demander à la famille la « permission » de rompre son deuil. C’est donc à ce stade qu’une cérémonie collective de clôture du deuilprendra tout son sens et son utilité.

Un outil innovant au service des proches du défunt

Le rituel de passage de vie à trépas et des funérailles aura une incidence sur le patrimoine familial et la santé mentale des lignées. L’ordre dans la procédure est le garant de son bon déroulement. Paola del Castillo, psychanalyste

Il y a une vraie urgence et une impérieuse nécessité, pour chaque individu et pour notre société dans son ensemble, de mettre en place des solutions qui répondent aux graves lacunes concernant la mor et à la souffrance qu’elles entraînent, pendant toute la période qui sépare la fin de vie de la clôture du deuil.

Pour répondre à ces carences, j’ai imaginé une application collaborative de chronologies ou lignes du temps multimédias que j’ai appelé Commemoria. Associé à un ensemble d’accompagnements et de cérémonies personnalisées, l'application pourra encourager l’émergence d’une parole sur la mort, lui donner du sens et servir de relais entre les quatre phases distinctes du processus de deuil :

  • l’accompagnement de la fin de vie
  • les funérailles
  • le travail de deuil
  • la clôture du deuil

L'objectif de cette application web est de permettre le partage d’informations biographiques et/ou contextuelles entre des personnes ou des organisations qui souhaitent pérenniser une mémoire, raconter l’histoire d’une existence, accompagner une fin de vie, organiser des funérailles, aider un travail de deuil ou tout simplement laisser une trace, tant sur le plan individuel que collectif. Commemoria permet à ses utilisateurs de recueillir un ensemble de témoignages sur la vie d'une personne et de les organiser chronologiquement. Tous ceux qui ont connu le défunt pourront mettre en ligne leurs témoignages écrits, éventuellement enrichis de photos, documents, articles de presse, liens Internet et vidéos ; ils pourront également envoyer leurs propres témoignages audios ou vidéos, créer une biographie multimédia et permettre un rituel de séparation extrêmement personnalisé qui unira les traditions des aïeux aux technologies de pointe. L’histoire de la personne décédée pourra ainsi être transmise à ses descendants et à ses proches, et contribuer à leur (re)construction et à leur évolution personnelle.

Transmettre l’histoire de sa vie à ceux qui restent

Comprendre, classer, expliquer et faire parvenir à ses descendants et à ses proches l’histoire de sa vie est un magnifique cadeau à leur léguer. A l’aide des lignes du temps biographiques, tout individu peut réaliser son autobiographie chronologique où trouveront leur place tous les évènements-clés de sa vie, les éléments qui le lient à ses ancêtres et à ses descendants ainsi que les différents contextes (historique, sociologique, religieux, économique, philosophique etc.) dans lesquels s’est déroulée sa vie.

Accompagner la fin de vie et réaliser une autobiographie hospitalière

La biographie hospitalière s’adresse aux personnes destinées à finir leurs jours à l’hôpital. Le fait de pouvoir se raconter en faisant le récit de sa propre histoire peut aider la personne en fin de vie à donner du sens à son existence. L'outil donne également un nouveau sens à la relation d'aide en milieu hospitalier, en prenant en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle des patients, ainsi que celles de leurs proches et du personnel soignant et permet non seulement de faciliter la communication entre ces personnes mais améliore aussi la qualité de celle-ci. En outre, le partage des mémoires et l'instauration d'un dialogue entre les personnes accompagnant le mourant lui donne le temps de mieux réfléchir à sa vie et de l’inscrire dans la succession des générations. Il pourra prendre des décisions, relayer et transmettre. Ses proches peuvent s'habituer à l’idée du deuil et, de cette manière, préparer les funérailles dans les meilleures conditions.

Organiser un enterrement et a****ccompagnement lors du travail de deuil

Les funérailles sont un moment très particulier, destiné à marquer l'histoire d'une famille. Le protocole mis en place autour de Commemoria propose un rituel de séparation extrêmement personnalisé où la charge symbolique, le respect de la personne humaine au-delà de sa mort corporelle, le sens et la parole sont impérativement soulignés; le but étant de soulager la tension de l’adieu, d’apporter un certain réconfort à la souffrance de ceux qui restent et de préparer le processus de deuil. En permettant une collecte rapide d’informations sur la vie du défunt qui sont automatiquement organisées chronologiquement, un canevas de cérémonie personnalisée comprenant des textes, des vidéos, des musiques, des interventions de personnes, ... est construit relativement rapidement dans les heures qui suivent la disparition de l'être cher.

Le deuil est une pratique symbolique indispensable à la vie, un processus unique et actif lié à l’histoire de chacun des participants et à la façon dont ce processus est accompagné. Après les funérailles, une communauté peut être mise en place autour du défunt et de ses proches afin d'enrichir cette premère collecte de données biographiques et de partager des souvenirs et des documents sur la vie de la personne disparue via le web. Ces documents peuvent être partagés sous le contrôle d’un « Family Master » et selon plusieurs niveaux de confidentialité. Avec la ligne du temps, toute personne ayant connu le défunt peut collaborer à la réalisation de sa biographie mais c'est aussi l'occasion de partager ses sentiments et ses émotions avec les personnes de son choix. Ce travail indispensable de commémoration les aidera à mieux élaborer l’absence du défunt et préparer la cérémonie de clôture du deuil basée autour d’un récit de vie illustré par des documents et des témoignages des « mémoires partagées ».

Clôturer le deuil, travail de mémoire et commémoration d'un évènement collectif

L'application intervient également lors de cette dernière étape du processus de deuil. L'ensemble des documents rassemblés et les « mémoires partagées » vont donner du sens à cette importante cérémonie. En plus d’associer à la ligne du temps du défunt d’autres lignes du temps généalogiques ou contextuelles, il est possible d'exporter l’histoire du défunt sur différents supports (papier, DVD, etc.) et de pérenniser les informations collecteés.

L'outil Commemoria s’adresse également aux particuliers et aux communautés qui souhaitent conserver et pérenniser la mémoire d’un événement collectif et des personnes qui y ont joué un rôle. La possibilité de recueillir et de mettre en relation un ensemble de témoignages collaboratifs et contextualisés donnera un sens nouveau à l’événement.

Voir aussi

L'auteur

Pierre RAMAUT

Pierre RAMAUT

Psychanalyste & psychanalyste transgénérationnel

Psychanalyste, psychanalyste transgénérationnel et sophrologue. Créateur de plusieurs outils innovants dans le champ de la santé mentale et du développement personnel : Généasens, Commemoria et Waystobe. Créateur et accompagnateur de « Marcher pour progresser » et d’un cycle de découverte du chamanisme mondial en lien avec le transgénérationnel : « Découvertes en terres chamanes ».

Commentaires

 
Commentaire de Christian Quintart

Publié le 17 décembre 2013

En premier lieu, permettez-moi de vous féliciter pour cet excellent article qui invite à la réflexion...

En temps que médecin hospitalier, je souhaiterais néanmoins nuancer les propos de Didier Dumas concernant l'interdiction de mourir.

Le milieu médical (médecins, infirmiers) est parfois pris en otage par des familles qui refusent d'admettre l'évidence...leur être tant aimé est en fin de vie![nbsp]Cette famille nie les faits et exige de la médecine que ce proche parent "redevienne" comme avant; ainsi, la fracture du col du fémur chez la patiente de 90 ans sera assimilée à une "banale" fracture qui, si elle est correctement traitée, devrait consolider afin de permettre à cet être tant aimé de revivre comme avant la chute! Il devra ainsi retrouver ses facultés physiques et/ou intellectuelles au terme de l'hospitalisation sans qu'elles n'aient été nécessairement appréciées de manière objective auparavant. Pour étayer ces propos, je vous propose de prêter attention aux propos des membres d'une même fratrie concernant la vision parfois totalement divergente de l'état de santé de leur proche parent. Ainsi, les troubles mnésiques bien connus et reconnus par certains, seront niés par d'autres. Ou encore, la maman ou le papa quasi grabataire, ne se déplaçant plus qu'entouré et aidé de deux personnes pourra être décrit comme totalement autonome.

En refusant de voir et d'accepter la fin de vie, on en attribue à l'autre la responsabilité. Le médecin, le personnel soignant sera tenu responsable de cette évolution péjorative et parfois inéluctable à 90 ans; il sera plus "commode" d'attribuer le décès quelques jours après l'opération chez cette personne de 90 ans à un problème médical qu'à une évolution due à l'âge avancé ou à un état de santé précaire. La médecine moderne doit donc parfois se justifier et se défendre face à ces dénis. Dès lors, comment pourrait-elle justifier la perte d'un être cher si ce n'est qu'en prouvant qu'elle a tout fait pour lui interdire de mourir? Comme le souligne Didier Dumas, la médecine moderne depuis le début du 20ème siècle a les moyens de repousser les limites de la vie...en fin de vie mais également aux prémices de la vie, en prenant en charge des nouveau-nés prématurés qui ne pèsent pas plus de 1kg.

Ce qui par le passé était un véritable enjeu "scientifique" peut devenir de nos jours un mécanisme de défense...médico-légal face à une famille qui refuse de voir disparaître son être proche, auquel il s'est habitué et qu'il voit comme "éternel" ou, dans le cas des prématurés, pour lequel la famille a prévu une "belle et longue vie"...On ne pense même pas qu'il puisse mourir et on ne veut surtout pas y penser... Dans ces conditions et face à un tel mécanisme de pensée, la médecine moderne se voit dans certaines circonstances obligée de prolonger la vie quel qu’en soit le prix pour le patient, les équipes médicales et les familles...familles qui verront dans la perte de cet être cher un manque de professionnalisme voire une erreur médicale! Ceci ne doit bien évidemment pas occulter l'importance du dialogue qui permet parfois de faire prendre conscience de la situation à ces familles dans le déni...parfois, pas toujours!

Cette discussion ouvre directement la porte à la discussion sur l'euthanasie et à ses limites...car si on ne veut pas interdire de mourir c'est donc qu'il faut aider à mourir !