Rites funéraires : nous, les laïcs, nous sommes nuls.
Deuil et souffrance transgénérationnelle, l'enjeu des rituels funéraires sur la santé mentale des lignées.
J'ai incinéré mes parents et beaux-parents et même mon épouse, c'est dire que j'ai de l'expérience. Expérience du rite chrétien également car je ne suis pas un athée "bouffeur de curés" qui se refuse à honorer les morts qui auraient choisi de passer par l'Eglise même s'ils ne croyaient pas vraiment en Dieu.
"Tu ne seras pas un athée stupide ni un libertin irréligieux." disait le Pasteur Anderson dans ses Constitutions de 1723. De tout temps, les hommes un peu civilisés ont pratiqué des cérémonies pour leurs défunts. Mais aujourd'hui, on dirait que nous n'avons plus de temps pour les rites funéraires. Il y a quelques années déjà une chanson de Sardou sur le sujet était éloquente avec Victoria qui, avec toute sa lucidité, nous disait en 1980 que « devenue vieille, on l'enterrerait entre deux rendez-vous. » Nous étions déjà en décadence dans la pratique du rite.
La pratique de l'incinération, que ce soit à Uccle, Gilly ou ) Mons est désolante. D’emblée, je vous demande si vous savez combien de temps est alloué par la crématorium de Mons pour une cérémonie standard. Seulement 20 minutes ! En sortant du crématorium de Uccle, de Mons ou de Gilly, j'avais eu l'impression d'être dans une chaîne de montage automobile : on me poussait et je m'imaginais être à Dachau ou à Buchenwald mais ce n'est plus la guerre et, me semble-t-il, à Dachau, ce sont des "moins que rien" que les nazis se disaient exterminer. La cérémonie ne dure que 20 minutes et si vous voulez allonger la sauce, on vous demande de payer 25 euros pour 15 minutes supplémentaires.
J’ai posé officiellement la question au crématorium montois afin de savoir si l'on ne pouvait pas faire quelque chose en plus … en payant bien sûr ! On m'a répondu qu’ « on peut faire passer la musique que vous voulez mais pour le bla-bla, c'est à la famille à s'organiser. ».
On est loin du rite chrétien où le curé vient vous rendre visite, présente ses condoléances et vous invite en tant que parents du défunt à prononcer un texte d'éloge à la mémoire du décédé, à exprimer votre ressenti en tant que fils, frère ou ami. Si vous dites non, il vous pressera de l’écrire et, comprenant votre émotion, il vous offrira de vous aider en le prononçant lui-même à votre place. Si vous refusez encore, si vous ne faites ni l'un ni l'autre , ce brave curé — même si cela fait bien longtemps que le défunt n'avait plus mis les pieds dans son église — prononcera un texte d'Evangile et envisagera avec vous l'éventualité d'une âme immortelle voire d'une résurrection qui, à tout faire, consolera les participants même s'ils disent ne plus croire en Dieu.
Au crématorium, par contre, c'est donc un quota de 20 minutes et vous êtes suffisamment malin pour organiser tout cela car c'est fou ce que nous avons l'habitude d'enterrer nos morts. Qu'on le veuille ou non, un alléluia, une chorale, un organiste, une petite clochette pour nous signifier que se recueillir dans un silence — disons-le religieux — c’est quand même différent d'un CD même si c'est celui que le défunt écoutait avec délectation. Mais la comparaison ne s'arrête pas là : mieux vaut quand même la voix d'un curé à celle d'une hôtesse qui, parce qu'elle a le titre d'hôtesse, parle comme une hôtesse de l'air.
« Chers passagers, vous êtes dans un vol en partance pour le paradis, la température extérieure vous refroidit, nous allons traverser un orage émotionnel mais votre commandant de bord est un expert à la manœuvre. N'ayez crainte, il y a des années encore, le cercueil était englouti dans les flammes de l'enfer. »
Nous avons retiré cette pratique barbare qui rappelaient les bûchers de l'Inquisition. Désormais, nous sommes très sobres.
« Notre vol durera environ deux heures … car il faut du temps pour incinérer et surtout pour que cela refroidisse. Entre-temps, nous vous inviterons à une collation (payante bien entendu) et pour autant que vous ayez planifié leur préparation, sandwiches et quartiers de tarte seront à votre disposition. »
C'est comme pour les vols low cost : tout est mesuré, étiqueté, le service (ou ce qu'il en reste) est payant. Tout est minuté et que cela saute! A l'Eglise du village, c'est moins stressant :
- 30 à 35 minutes pour une bénédiction
- 45 à 60 minutes pour une messe avec eucharistie. Evidemment, à l'Eglise il y a une offrande. Il faut encore payer me direz-vous mais cela a au moins le mérite de structurer la circonvolution autour du cercueil. Le rituel chrétien impose le respect. Le simulacre de rituel au crematorium peut friser la débâcle. L'un fait un large contournement, l'autre vire plus serré, le troisième, un officier probablement se met au garde à vous pour saluer tout de même, le quatrième donne une petite caresse, le cinquième regarde étonné et se demande ce qu'il doit faire, le sixième se rend compte alors qu'il a déjà dépassé le cercueil qu'il n'a rien fait alors il donne un petit signe d'adieu. Parfois, on sauve la mise en distribuant des roses … en plastique car c’est plus chaleureux pour les placer sur le cercueil. Flûte, il y en a une qui glisse, puis une deuxième, enfin, pas de chance … Une autre fois, on avait tout simplement oublié de sortir les roses en plastique alors qu'il y avait plein de roses naturelle dans le corbillard. Pire encore, il avait fallu demander que l'on dépose sur le cercueil une gerbe de fleurs naturelles que le défunt avait reçue … Le service minimum est assuré: ne perdons pas de temps, le "suivant" est déjà arrivé avec ses convives qui encombrent le parking.
J'ai ainsi assisté à une cérémonie de 7 minutes chrono avec le discours de l'hôtesse, une petite musique, et en sept minutes, c'était bâclé. Un petit point encore: la musique qui parlait de l'au-delà était en anglais. Le défunt avait 92 ans, la plupart des personnes présentes n'ont rien compris des paroles pourtant bien choisie du texte proposé. « Mais, Monsieur, vous n'êtes jamais content! On vous a dit que vous pouviez choisir votre musique. Ne vous plaignez pas en plus du choix que l'on a fait pour vous!
Ensuite, il y a la deuxième partie de la cérémonie, la mise en bière, disions-nous du temps où nous étions encore chrétiens. On avait un rituel en quatre temps :
- la messe et le passage à l'offrande,
- la présentation des condoléances à la sortie de la messe,
- la conduite au cimetière du village,
- un dernier recueillement en jetant sur le cercueil au fond du trou soit une fleur, soit un peu de terre. Si l'on a choisi la crémation, rien de tout cela ne vous est imposé. Après deux heures d'attente dans la cafétéria avec, tartes et sandwiches fourrés, on vous ramène dans la salle de cérémonie et l'on vous présente une urne encore brûlante encapuchonnée de velours noir. Un employé des pompes funèbres emporte alors cette urne vers une prairie attenante au crématorium dénommée "jardin du souvenir" et en quelques secondes on vous répand une poussière encore fumante sur les traces de précédentes coulées … une atmosphère de shoah incontestablement. Vous pourrez assister à cela si vous avez de la chance dans votre malheur car j'ai vécu des cas plus "cocasses". Pour ma belle-mère, à Mons, on a été conduit à la zone d'épandage via un couloir rempli de pots de peinture et de débris divers de plafonnage. L’employé m’a répondu qu’on n’allait pas empêcher la restauration de son outil de travail parce que ma belle-mère devait passer par là. Pour mon épouse, c'était au cimetière de Nivelles. On est revenu du crématorium d’Uccle et la dispersion a été faite par ce que nous appelons encore un "fossoyeur". C'est donc un homme — très sympathique au demeurant — qui a répandu les cendres vêtu de son bleu de travail : un bleu de travail qui avait déjà servi bien entendu. Un instant, il a abandonné sa pioche pour nous faire un pas de danse ridicule avec une espèce de soufflet à la main dont je me demande s'il ne criait pas à chaque manipulation mais peut-être était-ce mon épouse qui criait sa détresse une dernière fois. Ce fut sinistre. Inoubliable, en effet mais sans esthétique et sans chaleur … car, contrairement à Mons, les cendres avaient eu le temps de refroidir entre Uccle et Nivelles.
Comme je le disais en titre, nous, les laïcs, en matière de rites funéraires, sous sommes vraiment nuls.
Quelqu'un qui se souvient.