Exil et transmission psychique
Sur la route
De quel lieu viens-tu? A quel lieu appartiens-tu? Le lieu géographique est aussi de l’histoire dans le sens d’une histoire des êtres humains concrets avec leurs ascendants et leurs descendants, morts et vivants, enterrés ou déterrés, avec leur bataclan, armes et bagages et cela depuis la nuit des temps.
Iréna TALABAN, psychanalyste dans l’enfant ancêtre Tobie Nathan et connectif
L’exil est un événement à la fois psycho affectif, socio-économique et politique. Il se vit dans la sphère privé et dans la sphère sociale. Il croise l’intime et le culturel. Il fait également écho à notre premier exil, celui de notre première terre, le ventre de notre mère. Nous sommes tous des exilés, l’exil étant constitutif de notre identité, de notre vie. Le travail de deuil, d’intégration de la perte est une des condition de la vie, c’est le processus même de la vie dés la naissance .
On est toujours plus ou moins exilés : du ventre de sa mère, ensuite de toute la famille, puis du lieu, puis du souvenir.
Elie Wiesel
Cependant les personnes qui vivent un exil, soit volontaire soit contraint vont être porteuses d’une histoire singulière dans laquelle celui-ci est synonyme cette fois, au moins en un premier temps, de survie. Nous parlons beaucoup aujourd’hui, avec le bouleversement de la mondialisation, de migrants, mais chaque époque et chaque société a connu ses mouvements migratoires à l’intérieur même d’un pays par exemple entre campagne et ville ou entre la terre patrie et ses colonies entre pays pauvres et pays riches, entre pays sous régime autoritaire et pays libres. Comme un vaste mouvement de vases communicants. L’exil ne concerne pas seulement les autres, les étrangers ! En France un habitant sur quatre a un grand-parent né à l’étranger, deux habitants sur trois on un grand parent né à la campagne. La migration est un événement psychologique désorganisateur des repères psychiques et des liens externes, culturels, familiaux et sociaux. Elle peut être simplement une péripétie de l’histoire personnelle et familiale ou devenir un évènement choc. Dans ce mouvement de départ, de déracinement, les forces psychiques vont être très fortement mobilisées pour nouer et tenir ensemble ces différents niveaux de vécu qui sont tous essentiels à la construction de la personnalité. Ce travail va engager toute la lignée des exilés, aussi bien consciemment dans les tentative d’adaptation à de nouvelles conditions de vie qu’inconsciemment dans le travail de reconnaissance de ce qui a été vécu et n’a pu être parlé. Mais, l’exil tout en pouvant générer des blessures, des souffrance, avec un certain coût humain, se révèle simultanément être une opportunité pour les exilés de développer des talents, une grande créativité pour faire face au choc. Ce double mouvement se retrouve, avec la singularité de chaque parcours, dans la biographie d’un exilé. Lorsque la mémoire peut être apaisée, l’apport des exilés apparaît d’une très grande richesse. Nous avons dans notre histoire une infinité d’exemples de l’apport extraordinaire de ces personnes et du vivant du métissage culturel que cela représente. Mais il ne peut y avoir de généralisation sur « l’exilé ou le migrant » l’histoire est vécue par un sujet et l’écoute se doit d’être personnelle, chacun, chacun ». Une société sans exilé serait une société terne et morte, repliée sur elle même, incestueuse. Une des premières injonctions que nous recevons est :
Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays que je t’indiquerai
Genèse 12, Abraham
Les effets de l’exil sur la transmission
Comment a pu circuler la parole sur la terre d’origine ?
Pour nous y retrouver dans ces différentes dimensions et suivre le processus psychique de symbolisation de cet exil qui va se dérouler sur plusieurs générations je vous propose en un premier temps de revenir sur des notions générales qui clarifieront le propos:
- les processus de transmission,
- les différentes formes d’exil,
- le processus de symbolisation sur plusieurs générations,
- les solutions pour soutenir cette intégration psychique.
La transmission
L’intergénérationnel se joue entre les générations au contact, et elle s’exerce dans les deux sens descendant et ascendant qui interagissent constamment. Le transgénérationnel se joue entre des générations « à distance » et s’exerce dans le sens descendant des générations passées vers les générations présentes. Elle se passe d’inconscient à inconscient, à travers les perceptions de l’enfant et les fonctionnements de la famille, la place donnée à chacun. Elle peut concerner des affects et des zones clivées chez le parent dans sa relation inconsciente avec ses propres ascendants, mère, père.
L’héritage est ce qui est reçu passivement consciemment ou inconsciemment. Il peut être en plein dans ce qui a été visiblement donné: les paroles, les signes d’amour les actes, l’argent, la transmission des valeurs c’est un fait, positif. Mais cela peut être aussi aliénant car statique et immuable. Il est en creux lorsque c’est le négatif, le manque qui semble envahir. Cela va amener à inventer, construire. Cependant, ce qui apparaît douloureux va s’avérer très créatif et dynamique. L’héritier va devoir engager un vrai travail de transmission qui, elle, passe par le sujet. La transmission est le travail de transformation engagé en conscience ou à travers les événements de la vie par les descendants, un travail de tri.
Soumettre l’héritage à inventaire
P. Ricoeur
Cette interrogation va consister à différencier les forces de vie et les forces de mort, les forces de liaison et les forces de déliaison. Elle aboutit à rechoisir qu’est ce que je fais de ce que j’ai reçu ?
L'exil
Un voyage en trois temps :
- le départ, l’entre-deux, l’arrivée
- avant, pendant, après
- l’émigration, la migration, l’immigration
Mes racines, désormais seront toujours nulle part, où n’importe où : dans le déracinement en tous cas
Jorge Semprun
C’est cet allant devenant qui caractérise l’exil. Qu’est ce qui va être emporté par-devers soi ? laissé ? perdu ? le processus du mouvement est-il abouti ? certains sont restés dans l’entre deux sans pouvoir réellement s’enraciner. Ce processus complexe se déploie en fait sur plusieurs générations.
Une grande diversité de situations constitue cet événement. Ces différentes modalités colorent la dimension publique de l’exil, chacun vivant cet exil de façon singulière dont on ne peut présumer.
- l’exil solitaire ou collectif;
- la modalité du déplacement dans le registre du désir: les exils volontaires ou contraints;
- les différentes causes de l’exil: économique, l’eldorado (colonisation, conquête de l’Ouest) politique;
- le climat de l’exil: en temps de paix ou de guerre;
- le déplacement de population en cas de guerres, de génocides;
L'immigration désigne l'entrée dans un pays de personnes étrangères qui y viennent pour y séjourner et y travailler. Le mot immigration vient du latin immigrare qui signifie « pénétrer dans ». L'immigration est une migration vue du côté du pays de destination. Elle correspond, vu du côté du pays de départ, à l'émigration.
Emigrer, partir, c’est abandonner les empreintes originaires
Migrer, être en les deux pays, c’est le temps du chemin
Immigrer, arriver, c’est chercher à trouver de nouveaux repères
L'exil politique consiste à devoir quitter son pays d'origine en raison de répression ou de risque de répression exercée contre soi ou ses proches. Un réfugié est une personne se trouvant en dehors du pays dont elle a la nationalité et qui ne se sent pas en sécurité dans ce dernier suite à des persécutions pour différentes raisons (politiques, religieuses, etc.). Les personnes essayant d'obtenir le statut de réfugié sont parfois appelées demandeurs d'asile. Le fait d'accueillir de telles personnes est appelé asile politique. Les demandes d'asile faites dans les pays industrialisés se basent le plus souvent sur des critères et des motifs politiques et religieux. Le réfugié se sent trahi par sa propre terre. Est-il là transitoirement pour repartir ou pour rester ? Est-il isolé ou s’est-il regroupé pour lutter avec d’autres ?
Le processus de symbolisation sur plusieurs générations
La mécanique quantique parle du délai des 50 ans. C’est le temps nécessaire pour que des bouleversements de structures internes ou épistémologiques concernant l’étude critique des sciences atteignent le public. Nous pouvons également observer ce délai dans les processus de symbolisation collectif ou privé. Nous voyons le temps qu’il faut pour qu’une parole publique soit dite sur des événements historiques, des guerres ou des génocides.
Plusieurs composantes se retrouvent dans ces histoires de déracinement et vont teinter le vécu personnel:
- la nostalgie du pays perdu
tous les exilés auront en commun une forme de nostalgie du pays perdu, qui n’est pas sans faire écho au paradis perdu, lieu fantasmatique dont « on n’aurait pas du être séparé » comme si on avait pu rester dans le ventre de sa mère et éviter la castration ombilicale. Les stratégies pour faire vivre ce pays perdu dans des créativités personnelles ou collectives participeront de la symbolisation de ce départ ou au contraire garderont cette terre perdue transplantée mais stérile, sans qu’elle puisse nourrir de nouvelles récoltes. Ce processus réfère à la chute de l’objet perdu objet acause du désir, dans la théorie lacanienne.
- la langue et le patois ou dialecte
Il en sera de même avec la langue et le patois ou dialecte, sont-ils encore parlés dans la sphère privé ou communautaire ou sont-ils bannis ? La langue va t’elle se trouver « enterrée » dans ceux qui sont partis ou va t’elle donner lieu à une transmission qui véhiculera alors aussi la culture d’origine pour permettre un métissage.
- la séparation d’avec les morts
Un point très important et souvent très enfoui est celui de la séparation d’avec les morts laissés au pays et l’impossibilité alors d’effectuer les rites de mémoire autour des tombes. Cela aura sans aucun doute de l’effet sur la manière dont ensuite les descendants vont enterrer ou non les morts. Le phénomène de crémation et surtout de dispersion des cendres sans plaque commémorative serait-il un écho de ces déracinements ?
Dans tous les cas, si les émigrés, immigrent et s’attachent à leur terre ou pays d’accueil, la question sera de savoir si c’est avec les forces de vie ou avec les forces de mort que ce nouvel enracinement se fera. De cela dépendra la possibilité d’un réel métissage qui n’est pas seulement une co-habitation.
Intégration ou amputation de l’histoire qui a précédé l’exil ?
Les deux premières générations vont construire seules ce que plusieurs générations ont construit. Est ce humainement possible ? Comme pour toute perte, le processus de deuil prend beaucoup de temps. Il permet doucement d’intégrer dans la vie psychique de l’endeuillé ce qu’il va garder de la relation avec l’objet ou le sujet perdu. Lorsque ce processus n’arrive pas à s’opérer, l’objet perdu va rester enclavé dans la personne comme une zone morte. Cet enjeu est évidemment au coeur de la transmission dans les familles dont des membres ont vécu l’exil.
La première génération sont ceux qui vivent l’exil. Ils vivent un trauma, un coup réel tout en l’ignorant. C’est une catastrophe au sens strict: une rupture dans la continuité. Il y a une rupture dans la filiation. Dans l’antiquité, c’était dans de tels moments que l’on donnait le symbole (symbolon : jeter ensemble dans la même direction). Au moment d’un départ, une poterie témoin de l’événement était cassée en plusieurs parties données à chaque personne dont on se séparait. Ensuite, ce qui faisait symbolisation était la réunion plus tard ou à la génération suivante des deux parties séparées qui s’ajustaient tant bien que mal mais pouvaient alors faire trace de la rupture. Mais ceux qui partent doivent affronter le voyage. C’est une crise, une perte qu’ils traversent dans la réalité. L’action mobilise les énergies physiques et leur permet d’être vivants et de continuer à transmettre la vie. Ils payent un prix psychologique et physique, mais sont dans la lutte. Ce sont ceux qui ont survécu. Ils vivent la douleur qui peut aussi s’exprimer par des maux physiques ou psychiques.
Dans leur parole deux attitudes se distinguent:
- les taiseux pour qui les mots sont rares. Ils survivent, même avec succès à condition de ne pas regarder en arrière. Très souvent, ils prennent sur eux pour épargner les générations suivantes, ne disent rien, ils mettent de côté. Ils organisent ce que l’on appelle un clivage. La personnalité va être séparée entre une pseudonormalité et une insensibilité paradoxalement liée à une catastrophe. C’est cette faille que vont percevoir inconsciemment les descendants et qui va faire énigme. Ce processus n’est pas toujours volontaire, il peut être inconscient par impossibilité d’en dire et même d’en sentir quelque chose car ces personnes vivent aussi des affects mêlés de culpabilité, de trahison, de honte. Il peut aussi être très conscient, comme « une cure d’amnésie délibérée pour survivre ».
Je suis devenu un autre, pour pouvoir rester moi- même
Jorge Semprun, L’écriture ou la vie
- les bavards qui pour tenter d’écluser le trop plein d’émotions déversent sur leur entourage des récits des épreuves passées. Les descendants sont envahis d’images sans recul, comme dans un monde virtuel. Les auditeurs ou spectateurs de ces récits ou scènes répétées vont recevoir l’impact traumatique sans parole qui l’élabore. Rares sont les exilés qui ont pu simplement mettre des mots qui dédramatisent en mettant la distance de l’écriture (sauf des créateurs ou écrivains qui ont pu transmettre à travers l’art ou la musique.). C’est donc le chemin des autres générations et ce travail inconscient qui vont traverser la transmission jusqu’à intégration du deuil.
La deuxième génération est celle qui vit et continue de construire. Elle solidifie les bases de la génération précédente. Elle bénéficie d’un meilleur confort que la génération précédente. Elle a les résultats de l’exil: meilleure situation financière, sécurité, dans la plupart des cas une amélioration par rapport à la situation qui avait déclenché l’exil. Les enfants de ceux qui sont partis, peuvent eux-mêmes avoir vécu l’exil. D’ailleurs dans les familles, il y a ceux qui sont nés « avant » et ceux qui sont nés « après ». C’est à cette génération, mais plus généralement aux troisièmes ou quatrièmes génération que peut apparaître le traumatisme qui est la représentation du réel du coup.
Dans le cas d’exil volontaire et parlé, même s’il reste des zones troubles, la vie fera son oeuvre d’intégration avec parfois des ratés de succès, l’impossibilité de profiter du succès ou de la richesse, liée à la difficulté de dépasser ses propres parents et au sentiment de trahison de « les laisser dans leurs malheurs ou dans la dureté de leur vie ». Par contre, dans les cas plus traumatiques, ce sont les enfants qui pourront détecter les zones pétrifiées chez ceux qui sont supposés prendre soin d’eux. Certains enfants deviennent alors les sujets de la souffrance de l’autre. Un membre de la lignée peut exprimer un symptôme ou une plainte qui se révélera souvent à l’occasion d’un événement généalogique tel que naissance, mariage ou décès. Quelqu’un persiste à montrer que quelque chose ne va pas. Le symptôme est un appel à mettre du sens. Une personne peut se faire mémorial vivant à son insu, un témoin garant que cela a bien eu lieu. Paradoxalement, il fait mémoire de ce qui ne peut s’oublier, là où le temps s’est arrêté parfois depuis plusieurs générations avec des effets de bizarrerie ou d’inadaptation. Le traumatisme est dans le deuxième coup, dans l’après coup. Il peut même y avoir une confusion entre les vivants et les morts.
Ce qui ne peut se dire, on ne peut pas le taire, ni s’empêcher de montrer ce qui ne peut être dit.
Françoise Davoine, psychanalyste dans Histoire et Trauma.
La catastrophe échappe à la transmission et n’a pas pu s’inscrire dans le temps. Le processus de symbolisation est en fait une entrée dans le temps, qui ne se fait pas sans crise. Ce qui se répète est toujours ce qui n’est pas encore dans le passé, ou dans la mémoire, c’est en « l’état », tel quel dans l’inconscient, comme en attente d’un lecteur, d’un déchiffreur qui puisse lire la parole qui cherche à se dire. C’est ce travail de symbolisation qui va rétablir la place de chacun dans l’ensemble humain. La victime éventuelle sera réintégrée dans le monde des vivants. Là où l’exil avait fait une brèche de discontinuité dans l’histoire, quelqu’un va pouvoir témoigner que chacun reste une unité quoiqu’il arrive. Il est aussi question de restauration de la dignité humaine non réductible aux situations ou aux comportements. Les enfants, descendants viennent montrer la faiblesse que leurs ancêtres ne se sont pas autorisés et ne pouvaient pas manifester. C’est l’écart qui permet aussi de pouvoir supporter la violence du choc sans en défaillir.
Le sujet ne se réduit pas à sa culture, et la culture au sujet
Georges Devereux, psychanalyste et ethnologue
On ne peut pas être réparateur de liens transgénérationnels, mais la reconstruction de son histoire permet de pouvoir s’y référer, de retisser des liens et d’en permettre d’autres. La personne retrouve alors une famille avec un destin difficile, mais non pas une famille de fantômes. Elle peut transmettre des liens vivants aux générations suivantes et enrichir la communauté de ses talents.
Tout sujet n’advient à lui-même que d’avoir pu tout à la fois recueillir la voix de ses ascendants et s’en détacher
J. Altouniann, psychanalyste dans La survivance
Là où il y a eu exil, la séparation qui est dans l’ordre des choses a pu ne pas se faire par instinct de survie et attachement vital aux premiers objets d’amour, pour garder des repères. Cette situation événementielle vient alors croiser les problématiques psychoaffectives de tout un chacun, à savoir la bonne distance avec ses ascendants et ses descendants, la différence des générations et des sexes. Or souvent il subit une double injonction de la part de son ascendant :
Sépares toi de moi pour pouvoir vivre et exprime ce à quoi j’ai survécu pour ne pas en mourir
J.Altouniann, psychanalyste dans La survivance
En effet, dans l’exil les problèmes intergénérationnels ordinaires vont se jouer, mais parfois avec un choc générationnel plus rude car comme accéléré, du fait de la différence culturelle entre par exemple le pays d’origine et le pays d’accueil. Les conflits de loyauté vont faire rage: fidèle à la culture de mes parents ou à la culture de mon pays de naissance ? Cette question traverse par exemple violemment les personnes exilées arabomusulmanes. Par exemple: le père est en lien fort avec l’Algérie cultive la mythologie du retour, se réfère à des référents religieux, se vit toujours en situation migratoire (dans la communauté des migrants), le fils est en France, non-religieux, en situation d’a-culturation (au contact d’une nouvelle culture). Le fils va avoir des difficultés à s’identifier à son propre père. Il devra composer avec une double appartenance avant de pouvoir se constituer une identité intégrée. C’est aussi à cette génération que vont se constituer les couples mixtes et le métissage. C’est alors à la naissance de l’enfant métis que des questions peuvent se reposer dans la tentative d’un compromis de transmission quant aux coutumes liées à la naissance. Le fait d’être dans un pays de troisième culture est facilitant car celui-ci va intervenir comme tiers dans le conflit de loyauté et permettre une solution.
Les différentes solutions
Toutes ont pour vocation de retrouver la confiance, la possibilité d’un contrat de confiance en l’autre, là où parfois celle ci avait été défaite. Elles permettent la circulation des forces vives.
Faire une trêve: un endroit où l’on souffle et on peut être en paix. C’est un espace dans lequel le contrat de confiance peut se vivre de nouveau avec d’autres qui n’ont pas vécu la situation mais peuvent être avec. Ce lieu peut être un espace thérapeutique ou simplement un espace où la personne se sente accueillie. L’école, les associations culturelles sont des lieux privilégiés. Un autre lieu de trêve privilégié est le lieu analytique et l’analyse transgénérationnelle comme supports de résolution pour les descendants. Il est assez intéressant de constater que la psychanalyse et les prémices de l’analyse transgénérationnelle ont été conceptualisées par des exilés ou des enfants d’exilés: Freud, Abraham & Torok, Yvan Boszormenyi-Nagy ou des personnes concernées de prés ou de loin par la guerre et la question des frontières.
Dans Histoire et trauma, La folie des guerres, Françoise Davoine et Jean–Max Gaudillière nous transmettent que « quelque soit la souffrance, quel que soit le silence, il y a une nécessité qui mène les histoires forcloses jusqu’au dire, si pour quelque raison, elles ne peuvent être transmises, elles seront dites par un autre. » et le fait que « le discours psychanalytique soit un outil antitotalitaire par excellence puisqu’il pose le lieu de l’Autre libre quelque soit la situation d’enfermement ». La clinique est toujours du cas par cas qui sauve la personne porteuse de l’énigme familiale (sous forme de symptôme qui fait appel à traduction) d’être enfermée de nouveau dans un statut de victime qui la rendrait objet de la situation et non plus sujet du drame. Il va alors pouvoir prendre le temps d’élaborer en son nom l’histoire familiale. Cependant cette écoute particulière engage le psychanalyste lui-même dans sa capacité à être en lien avec sa propre histoire, y compris les histoires d’exil, de guerres qui ont traversé sa propre famille. Il doit pouvoir croiser les éléments historiques avec le travail psychique inconscient de détachement des premières images (processus oedipien, de castration symboligène). Tenir les deux champs ensemble sans en exclure un.
Le lien social (la profession, le travail) restaure évidemment la place dans la nouvelle communauté où l'individu peut être utile, apporter quelque chose et peut ainsi payer sa dette d’accueil. L’engagement dans la vie sociale, affective, l’engagement militant ou l’engagement politique signe le fait que le sujet puisse mobiliser à nouveau les énergies physiques et psychiques et quitter cet entre-deux de la migration où il n’est plus de nulle part.
Le témoignage permet de se réapproprier son histoire ou celle de ses ascendants comme une histoire faisant partie de l’humanité. Celui qui témoigne rend les autres eux-mêmes témoins, devenant co-vivants de cette histoire même si elle est éloignée de la leur. Cela permet de sortir de l’enfermement d’une histoire impossible à partager sauf aux mêmes dans la communauté de malheur.
La réécriture de l’histoire peut être l’aboutissement du cheminement des descendants. Un des leurs va pouvoir inscrire dans une oeuvre symbolique et de mise à distance le réel parfois trop douloureux. Ce partage par écriture interposée aura aussi valeur libératrice pour les lecteurs.
La créativité (musique, théâtre, peinture, ...) permet de nouer de nouvelles formes d’expression et d’enrichir la société de créations sublimant les expériences ineffaçables.
L’exil déracine le moi, dans le sens où il l’arrache à la terre à laquelle il tient de toutes ses fibres biologiques. Moment dramatique, à la pesanteur terrible dit-il, car jamais l’exilé ne pourra plus pousser de racines dans d’autres terroirs. Ses racines resteront à nu, exposées dans le vide, et d’une certaine façon, on pourrait dire qu’elles n’auront plus que le ciel où pousser désormais, ce vide où elles vont s’étendre en cherchant à retoucher terre
Shmuel Trigano dans Le temps de l’exil
Dans tous les cas, les exilés, parce qu’ils ont traversé cette épreuve et mobilisé des forces physiques et psychiques essentielles, sont des archétypes de l’homme prêt à mourir pour vivre, indiquant combien l’intégration de l’expérience de la perte est constitutive de notre identité de sujet parlant. Ils nous invitent également à faire de l’exil, une expérience de l’hospitalité.
En ce sens et à travers toutes les oeuvres sociales, personnelles et artistiques dont ils témoignent dans leur désir de continuer l’histoire, ils nous représentent dans notre humanité tragique et singulière.
Voir aussi
- Ethique de la relation dans l'arbre familial
- L'exploration généalogique: entre déterminisme et Liberté
- Les conséquences transgénérationnelles de la déportation
- Résilier malgré l’exil : Une affaire de famille
- La localisation géographique et les déplacements dans l’espace de nos ancêtres
- Incidences des guerres sur la famille
- Les traumatismes historiques et leurs conséquences
- Psychogénéalogie des lieux de vie
- Mémoire de là-bas, Hubert RIPOLL