Article pubié le 06 juillet 2012

Robert, n'oublie jamais, tu es juif et tu dois rester juif !

Les enfants de déportés

Claudine Vegh s’est intéressée aux conséquences transgénérationnelles sur les enfants et descendants de déportés à qui on n'a pas dit la vérité sur le départ pour la déportation, les camps et la mort de leurs pare

Claudine Vegh fait une première recherche pour sa thèse en médecine à Paris, sur les descendant; de gens qui sont morts en déportation pendant la Seconde Guerre mondiale et dont l'enfant ne savait pas à l'époque ce qu'il advenait à ses parents (il n'y avait pas eu d'adieu), ce qu'ils étaient devenus, et qui devaient de plus se cac

La plupart de ces enfants avaient été recueillis par des familles d'accueil : ils portaient souvent des faux noms et des faux prénoms. D'autres ont été cachés par des couvents ou communautés.

A ces enfants on avait dit que maman et papa étaient « partis en voyage » et on leur avait interdit de parler d'eux. Ils ne savaient pas ce qui était arrivé. Souvent d'ailleurs les adultes eux-mêmes ne savaient pas ce que devenaient les victimes des rafles et les passagers des « trains du brouillard » .

Quelle que soit la gentillesse et la bonne volonté de l’accueil, c’est une situation terrible pour des enfants, de ne pas dire un secret, d'être coupés de leurs proches et de leurs habitudes .Mais en plus d’un souvenir douloureux , c’est une dette lourde ou même trop lourde à porter qui engendre des souvenirs et des désirs obsédants de vengeance (comme la vendetta en Corse).

Les témoins, munis de bonnes intentions ont souvent caché la triste vérité aux enfants « pour leur bien »comme ont le dit communément.

Quelques années après la Libération ces enfants ont attendu leurs parents ; ils ont fini par savoir ou comprendre que leurs parents avaient été probablement déportés et étaient morts en camp de concentra[-]tion.

La recherche transgénérationnelle a montré que sur trois générations, ces enfants et leurs familles sont porteurs de cauchemars et de traumatismes qu'ils n’arrivent pas à dépasser.

Robert, n'oublie jamais, tu es juif et tu dois rester juif!

L'exemple de Robert est rapporté par Claudine Vegh dans son livre « Je ne lui ai pas dit au revoir » (Paris, Gallimard, 1980)

Robert est un enfant juif de quatorze ans, dont le père est emmené en déportation et lui crie en le quittant :

Robert, n'oublie jamais, tu es juif et tu dois rester juif! [...] Ce sont ses dernières paroles, je les entends comme si c'était hier.

Il ne m'a pas dit : "Je t'aime, ne crains rien, fais attention à toi", mais cette seule phrase... [...] car après tout, est-ce que je vis ? [...]

Je leur en veux, tu comprends ? Oui, j'en veux à des morts qui ont payé ma vie avec la leur ! C'est invivable ! Ils n'ont rien fait pour survivre. [...] Et ils m'ont laissé moi, seul de la famille; et moi, il fallait que je survive à tout prix. [...]

Je suis retourné deux fois en Dordogne, avec ma femme et mes filles. Comme tu sais, "un criminel revient toujours sur les lieux de son crime", non? [...] Oui, j'ai dit criminel, c'est bizarre... mais après tout, ils sont morts et moi je vis [...]

Ma fille aînée, qui est étudiante, part s'installer définitivement en Israël ! Elle m'a dit qu'elle devait faire ce que moi je n'ai pas réalisé... La boucle est bouclée. [...] Mon père aurait été fier d'elle.

La dette de Robert envers son père « N'oublie jamais, tu es juif! » est payée par sa fille. Mais Robert sait qu'il n'a pas réglé sa dette et ses comptes, parce que c'est invivable ! et ceci va le hanter et lui gâcher la vie . C'est la culpabilité du survivant .

Pour Claudine Vegh, le secret, le non-dit de la morta été tel que cela a empêché un fonctionnement psychique normal :

Il vaut mieux savoir une vérité, même difficile, honteuse ou tragique, plutôt que de la cacher, parce que ce que l'on cache, les autres le subodorent ou le devinent et ce secret, ce non-dit, devient un traumatisme plus grave à long terme.

Le secret est toujours un problème.

Freud rappelait déjà que:

Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre constate que les mortels ne peuvent garder aucun secret

Celui dont les lèvres se taisent bavarde avec le bout de ses doigts. Il se trahit par tous ses pores.

Cela nous conduit à comprendre et ne pas sous-estimer l'importance de la communication non verbale et de l'impact de l'expression des sentiments par le « langage du corps » et par le silence révélateur.

Voir aussi

Bibliographie: