L’indicible
C'est un secret, qu'on ne peut dévoiler, souvent le secret honteux d'un parent, une perte, une injustice ; en cachant ce deuil indicible, on l'installe à l'intérieur de soi-même, dans un « caveau secret », dans une « crypte » : c'est un « fantôme » (qui recouvre ce secret inavouable d'un autre}, secret qui peut se transmettre de l'inconscient d'un parent à l'inconscient d'un enfant, d'une génération à l'autre.
Tout se passe comme si certains morts mal enterrés ne pouvaient pas rester dans leur tombeau, relevaient la dalle et circulaient et allaient se cacher dans cette crypte, portée par quelqu'un de la famille - dans son cœur et dans son corps - et dont ils sortaient pour se faire reconnaître, pour qu'on ne les oublie pas, qu'on n'oublie pas l'événement.
Le chasseur de papillons
Extrait du livre d’Anne Ancelin Schützenberger: "Aïe mes aïeux "
Nicolas Abraham en 1978 raconte l'histoire d'un monsieur ignorant tout du passé de son grand-père.
Ce patient est géologue amateur. Chaque dimanche il va chercher des cailloux, les ramasse, et les casse. Comme il est aussi chasseur de papillons, il les attrape et les achève dans un bocal de cyanure. Rien de plus banal !
Cet homme se sent terriblement mal à l'aise et cherche une thérapie. Il en suit plusieurs, dont une psychanalyse - mais sans grand succès. Il ne se sent pas bien dans sa vie à lui. Il s'adresse alors à Nicolas Abraham qui a l'idée de lui faire faire des recherches dans sa famille, en remontant à plusieurs: générations antérieures : il apprend alors qu'il a un grand-père« (le père de sa mère) dont personne ne parle ! C'est un secret.
Le thérapeute conseille à son « client » d'aller voir la famille de son grand-père ; il découvre alors que son grand-père avait fait de; choses inavouables ; on le soupçonnait d'avoir dévalisé une banque et fait probablement pire. Il a été envoyé au « Bataillons d'Afrique »,« casser des cailloux » ; il a ensuite été exécuté dans une chambre à gaz, ce que son petit-fils ignorait .
À quoi notre homme passe t il ses week-ends ? : II va, géologue amateur, casser des cailloux, et chasser de gros papillons, il les attrape et les achève dans un bocal de cyanure , La boucle symbolique est bouclée et il exprime le secret qu'il ne connaît pas.
Dans un certain nombre de cas, les passe-temps, qui sont des dérivatifs de secrets de famille, sont étonnamment chargés de sens. La seule psychanalyse ou la psychothérapie individuelle, qui ne s'attache qu'au passé symbolique et à ses traumatismes dans la vie individuelle, n'est pas suffisante.
Nicolas Abraham et Maria Tôrôk estiment que seule l'introduction du concept généalogique permet d'appréhender le « fantôme » et sa manifestation, la hantise, en tant que faits métapsychologiques (La métapsychologie est l'ensemble des concepts théoriques formulés par la psychanalyse).
Ainsi se montre et se cache [...] ce qui gît comme une science morte-vivante du secret de l'autre.
Nicolas Abraham et Maria Tôrôk.
C'est depuis l'inconscient que viennent hanter les mots qui supportent le fantôme, [...] ce sont souvent les maîtres mots de toute une histoire familiale dont ils marquent les pitoyables articulations. » [...] « C'est une lacune dans le dicible [...] L'apparition du fantôme indiquerait donc les effets sur le descendant de ce qu‘avait eu pour le parent, valeur de blessure, voire de catastrophe narcissique. » [...] « Sa manifestation, la hantise, est le retour du fantôme dans des paroles et actes bizarres dans des symptôme: (phobiques, obsessionnels) [...], etc.
Ibid.
Son retour périodique compulsif [...] fonctionne comme un ventriloque, comme un étranger par rapport à la topique propre du sujet. » [...] « Ainsi, 1a personne "hantée" se trouve-t-elle prise entre deux mouvements respecter coûte que coûte le non-savoir du secret du proche ; d'où l'apparente nescience le concernant ; mais aussi, en même temps lever cet état de secret ; d'où constitution de celui-ci en savoir inconscient. » [...] « Ainsi se montre et se cache ce qui, au fond de l'inconscient, gît comme une science morte-vivante du secret de l'autre.
Ibid.