Un article de Jacques Ladyjensky publié le 17 mai 2011

L’ADN

Les cellules des êtres humains contiennent ce ruban d’ADN (acide désoxyribonucléique) qui est la fameuse « double hélice » constituée par la succession de nos gènes. Cet ADN est logé dans le noyau de la cellule, et aussi dans de petits organites distincts du noyau et appelés mitochondries.

Dans le noyau de la cellule, l’ADN ne constitue pas une longue unité continue, mais est formé de 46 parties distinctes et clairement identifiables, les chromosomes. Parmi eux, le chromosome Y se voit transmis tel quel, intégralement, depuis le père vers le fils mâle, de génération en génération. C’est donc à lui qu’on fait appel pour les études de généalogie génétique ayant trait à la transmission patrilinéaire. On le désigne par le sigle « Y-DNA ».

L’ADN présent dans les mitochondries contient, lui, un chromosome X transmis tel quel depuis la mère vers la fille. Cet ADN est donc utile pour les examens de transmission par voie matrilinéaire et est désigné comme « mtDNA ».

Dans le cadre de ce texte volontairement abrégé, nous parlerons principalement de Y-DNA, étant donné le recours massif et généralisé qui s’opère pour le moment en matière de recherche généalogique patrilinéaire qui en fait usage. Certes, on peut aussi faire appel aux examens de mtDNA, pour de la recherche matrilinéaire, mais en ce domaine on n’en est qu’aux balbutiements. Pour l’avenir, l’espoir est permis d’obtenir par ce moyen l’héritage qu’on a reçu depuis les mères et grand’mères, mais les scientifiques ont encore du travail devant eux avant d’arriver aux résultats assez fascinants obtenus dès aujourd’hui par l’examen de Y-DNA.

Mutations durables de l’Y-DNA : les Haplogroupes.

Nous disions que le chromosome Y se transmet intégralement au fils. Pas toujours tout-à-fait intégralement! Parfois, il s’est trouvé un père pourvu d’un Y-DNA qui avait « muté » en un point de la chaîne de gènes qui le constitue, - une grosse mutation qui s’est maintenue de manière durable au fil des siècles. La lignée issue d’une telle mutation est nommée « haplogroupe ». L’humanité se compose ainsi d’environ 25 haplogroupes auxquels on a donné les lettres de l’alphabet : A, B, C, etc. Pareilles mutations n’arrivent qu’après des périodes de plusieurs milliers d’années, mais pendant ces périodes il peut s’opérer des mutations moindres qui donnent alors lieu à la naissance de sous-groupes. Comme exemple, prenons l’haplogroupe R1b1, le plus répandu en Europe occidentale. La mutation de départ, donnant naissance à la lignée R, s’est opérée chez un homme vivant il y a 28 000 ans. Après quelques milliers d’années, un de ses descendants a muté, d’où séparation en deux groupes R1 et R2 (ensuite peuvent apparaître R3, R4…). Au sein de R1, nouvelle mutation après d’autres millénaires, et scission en R1a, R1b, etc. Et ainsi de suite en alternant lettres et chiffres.

Quelques mots sur la distribution des haplogroupes :

  • Haplogroupe R: issu il y a 28 000 ans d’un homme vivant en Asie Centrale, il est surtout répandu en Europe de l’Ouest sous forme de son sous-groupe R1b, qui domine (jusqu’à 90% de la population en certains endroits de France). R1a et R1b étaient sans doute les « Indo-Européens » (dont nous parlons les langues). R1a se situe principalement en Grèce, Balkans, pays slaves et baltes. Il en reste évidemment, énormément, en Asie. Ces Indo-Européens, à la base de la domestication du cheval, et autres innovations majeures, ont progressivement supplanté des Haplogroupes I, soit pacifiquement, soit hélas plutôt par violence, - disons les deux. Les familles royales de nombreux pays d’Europe sont souvent des R1b. Quant au sous-groupe R2, il est très important en Asie.
  • Haplogroupe I, qu’on vient de citer au passage, se trouvait dans nos régions d’où il est originaire, et il en reste un peu. Il fut relégué progressivement en Scandinavie, Grande-Bretagne, Danemark, Espagne notamment. Il s’agissait de descendants directs des Cro-Magnon. Ce sont eux qui ont bâti les fameux mégalithes.
  • Haplogroupe G est un petit groupe (20-30 millions pour le monde) mais s’est glissé un peu partout. Il a pris naissance d’une mutation survenue il y a 10-15 milliers d’années appelée M-201. On trouve des G en Europe, en Asie occidentale, autour de la Méditerranée. Il y en a une forte concentration en Ossétie du Nord (la moitié de la population). De nombreuses hypothèses, dont aucune ne domine, ont été avancées pour justifier cette dispersion. (On a même été jusqu’à invoquer comme piste, la disposition à toutes les frontières de l’empire romain, de mercenaires issus d’une même peuplade…)
  • Haplogroupe J, avec ses deux sous-groupes J1 et J2, est souvent appelé le groupe sémite. Il est majoritaire chez les Arabes, et on le trouve chez environ la moitié des Juifs. (Petite parenthèse : Parmis les Juifs J1, existe une descendance « Cohen », chez ceux qui portent ce nom (ou Kahan, etc.), laquelle, on l’a prouvé, s’est transmise de père en fils depuis plus de 3000 ans. On remonte ainsi à l’ancêtre biblique, Aron, frère de Moïse. Les Cohen sont en charge d’une fonction de prêtrise qui, justement, est transmise de père en fils comme le chromosome Y. Dans ce cas-ci, une des déductions qu’on peut faire, est que leurs épouses, au fil de 120 générations successives, n’ont pas eu d’aventure extra-maritale.) Bien qu’associé avec le vocable Sémite, on trouve beaucoup de J dans les pays européens voisins de la Méditerranée comme la Grèce (22% de la population) ou l’Italie (25%).
  • Haplogroupe E représente la dernière migration majeure depuis l’Afrique vers l’Europe, il y a 26 000 ans. Le sous-groupe E1b1 est particulièrement représentatif ; on le trouve assez bien en Grèce, Albanie, Kosovo, Proche-Orient, Moyen-Orient, Maroc (groupe berbère). Il domine au Levant et pourrait être partiellement associé aux ascendants Phéniciens et Israélites. Le haplogroupe E, au demeurant, présente des sous-groupes dont l’histoire se révèle bien complexe.
  • Haplogroupe T est rare (en Europe, moins de 1% de la population) mais se voit curieusement concentré dans quelques poches comme à Sciacca, Sicile (18%), Ibiza (17%), Serbie (7%), Estonie (4%).
  • Haplogroupe N, parfois appelé « Finnois » ou de « langues Ouraliques » s’étend de la Finlande à la Sibérie et se voit particulièrement bien représenté dans les pays baltes (34 à 58%). Il s’y trouvait sans doute avant l’arrivée des Indo-Européens R1a avec lesquels il a fusionné (plus ou moins moitié-moitié).
  • Haplogroupe Q est celui des Huns, qui envahirent l’Europe au 5^e^ siècle. Il en reste notamment un peu en Hongrie (2%). Il est surtout représenté en Asie Centrale d’où il est originaire, avec une migration intéressante vers l’Amérique (les Amérindiens indigènes Q3).
  • Haplogroupe C semble être associé aux Mongols de Gengis Khan. Il en reste quelques traces en Europe. Il est aussi, en Australie, Polynésie, Asie du Sud-Est, très bien représenté.
  • Haplogroupe P est celui qui s’est subdivisé en Haplogroupes Q et R, et comme tel, a presque disparu.
  • Haplogroupe H semble être celui qui domine chez les Gitans, Tziganes (50%). On trouve assez bien de H en Inde et au Pakistan.
  • Haplogroupe L est typique du sous-continent Indien.
  • Haplogroupe A est le plus ancien, avec sa mutation d’origine datée d’au moins 70 000 ans, en Afrique. Ses porteurs très nombreux sont des personnes de peau noire vivant sur ce continent, mais il existe cependant des porteurs A européens qui pourraient être des descendants d’esclaves Nubiens (ou gladiateurs) enlevés d’Afrique par les Romains.
  • Haplogroupes L et O sont Asiatiques. On pourrait aussi en citer d’autres, très lointains géographiquement, comme K, M, O.

En Belgique

Les chiffres suivants ont été avancés pour la Belgique, mais sont encore sujets à caution.

  • R1b, 63-65%
  • R1a, 4-5%
  • Le reste, une trentaine de pourcents, se répartissant entre E1b1, G, J, N, T, et peut-être d’autres à l’état de traces.

Les marqueurs

Chacun des haplogroupes dont nous venons de parler s’est vu soudainement issu, il y a des milliers d’années, d’une grosse mutation dans le génome d’un individu (qui était jusqu’alors membre d’un autre groupe). On appelle « SNP » ce genre de mutation ; elle n’arrive qu’une fois et est définitive.

Un autre phénomène peut concerner, de manière moins définitive, l’un ou l’autre endroit (locus) du génome. C’est une petite mutation dite « STR », se produisant à fréquence bien plus rapide que les SNP (on compte ici en siècles, non en millénaires) et pas toujours très stable. En principe le père la transmet à son fils, mais il arrive qu’elle s’annule, ou qu’elle prenne une autre valeur lors de la transmission. La détection en est très précieuse comme on va le voir, mais leur prise en compte conduit davantage vers des « probabilités » que vers des certitudes.

Lorsqu’on teste une population d’un haplogroupe donné, on voit donc ainsi apparaître la possibilité d’en faire un classement selon des catégories plus fines. A ce jour, on utilise sur le génome, 67 *loci *abritant ces petites mutations qui nous distinguent l’un de l’autre. Chaque individu peut ainsi se voir pourvu d’une cotation en forme d’un tableau de 67 valeurs, les « marqueurs ». Si vous avez les mêmes valeurs qu’un autre mâle pour chacun des 67 marqueurs (exact match) c’est un parent extrêmement proche. La probabuilité d’un même grand’père dépasse largement les 80%, celle d’un même arrière-grand’père flirte avec les 90%.

On est allé plus loin, en introduisant la notion de « distance génétique ». Prenons en exemple. Vous vous comparez avec un candidat cousin, du même haplogroupe (et sous-haplogroupe) et découvrez avoir la même valeur pour tous vos 67 marqueurs, sauf deux. Pour l’un d’eux, vous avez par exemple la valeur « 12 », et lui « 14 », et pour l’autre, vous avez « 18 » et lui « 19 ». On dira que vous êtes à distance génétique 3 (soit 2 + 1). Des déductions intéressantes en sont tirées, comme par exemple les suivantes (du moins dans l’état présent des connaissances, qui évoluent très vite) :

  • A une distance génétique 2 de quelqu’un du même sous-haplogroupe, à 67 marqueurs, vous avez une probabilité de 97% d’avoir un ancêtre commun à 16 générations d’aujourd’hui (environ 400 ans).
  • A une distance génétique 4, la probabilité est encore de 94%. Elle serait de 98% pour l’ancêtre commun à 500 ans.
  • A partir d’une distance génétique 9, vous n’êtes plus considéré comme parent.

En pratique

En se faisant tester, on peut se borner à demander 12 marqueurs, c’est le minimum, afin de débourser le moins possible. Cela permet notamment de savoir à quel haplogroupe, et sous-groupe, on appartient. Et aussi de pouvoir, entre autres, conclure à l’exclusion d’un candidat-cousin (qui serait, par exemple, porteur du même nom de famille, lequel, comme le chromosome Y, se transmet aussi patrilinéairement), en constatant qu’il n’y appartient pas.

Pour faire des comparaisons sérieuses avec des candidats-cousins (que vous trouverez en grand nombre) et tenter de bâtir un arbre généalogique génétique, il ne faut pas hésiter à demander le test sur 67 marqueurs.

Ci-dessous, une liste de sociétés pratiquant les tests génétiques à connotation généalogique. Il faut leur envoyer un échantillon de salive et prévoir un budget de minimum 200 euros. (Ce budget peut être partagé, puisque plusieurs mâles parents sont impliqués.) On peut se faire tester à 12 marqueurs pour commencer, puis demander des upgrades plus tard, moyennant un supplément qui sera modique, car la société conserve votre échantillon initial.

Une fois des groupes de « cousins » repérés, il est évidemment nécessaire de prendre réellement contact avec eux pour examen des documents de généalogie classique. C’est, bien entendu, celle-ci qui aura le dernier mot. Les examens génétiques sont là pour ouvrir des pistes à la généalogie classique, - d’énormes pistes au demeurant.

Liste de sociétés pratiquant les tests génétiques généalogiques

Elles sont basées aux USA, sauf la dernière citée, qui pratique la langue française et est basée en Suisse (elle est associée à FamilyTreeDNA, Houston, Texas).

Moyennant la rémunération qu’elles demandent, ces firmes font bien davantage que de communiquer votre classement génétique. Elles vous fournissent *l’identité des personnes qui vous correspondent le plus (matches). *Ceci, en faisant usage des archives qu’elles ont constituées avec les précédents testés. Elles organisent des *Forums de discussion *bien utiles pour la mise en contact des futurs « cousins ». Avec l’aide de volontaires (administrators) elles mettent en œuvre des projets tels qu’ *Associations de personnes portant le même patronyme, *confection de *Méta-Arbres Généalogiques, *etc.

Comme expliqué au début de cet article, les travaux généalogiques impliquant l’ADN du chromosome Y (recherche patrilinéaire) sont, pour le moment, bien mieux développés et commodes d’emploi, que ceux qui font intervenir l’ADN mitochondrial, hérité de la mère. Nous n’avons ici pas parlé de ce dernier sous peine de devenir trop long. Il faut néanmoins signaler que plusieurs des firmes susdites peuvent, sur le même échantillon de salive reçu, pratiquer ces tests mtDNA, voire ensemble, à un tarif « deal » les deux sortes de tests ensemble.

Détection des maladies génétiques

Cette question auxiliaire est fréquemment posée. Peut-on en opérer, au départ des résultats obtenus sur l’Y-DNA, lequel est de loin l’objet le plus courant des analyses aux fins génétiques ? Non, car les gènes de ce chromosome sont non-codants (on dit aussi « non-recombinants ») et n’impliquent donc pas la synthèse de nos tissus ni leurs comportements.

Mais parmi les sociétés citées, et notamment par exemple 23andme, il en est qui proposent des tests de dépistage de certaines maladies héréditaires. Ils tiennent compte alors des sections codantes de la chaîne d’ADN (et les tarifs sont plus élevés, bien entendu).

En général les gènes impliqués dans les maladies héréditaires sont de nature récessive, c’est-à-dire inoffensifs si un seul des deux conjoints en est porteur. Il convient alors qu’il s’abstienne de s’accoupler avec le porteur du même gène.

Les développements sur ce sujet sortiraient du cadre de cet article.

Forums de discussion

Les sociétés de tests ont plusieurs forums de discussion, - par exemple, un par haplogroupe (pas toujours). Ils font appel aux milliers de données de clients se trouvant dans leurs archives.

Il existe aussi des forums indépendants, où viennent discuter des adeptes venant de l’une ou l’autre firme, quelle qu’elle soit. Chez Yahoo, par exemple, il y en a plusieurs, comme

En surfant un peu, on en découvre sans problèmes.

Souvent chaque sous-haplogroupe fait même l’objet de plusieurs forums. R1b par exemple, qui est le plus répandu en Europe, donne lieu à au moins 8 forums.

Sur Facebook, existent aussi des forums par haplogroupe.

Sites de documentation

Petite liste non-exhaustive. La dernière citée ouvre énormément de liens.

Pour des études d’ascendance juive : JewishGen d’où partent de nombreux liens vers des sites à connotation génétique.

Quelle que soit la société qui a testé votre ADN, vous pouvez vous enregistrer dans le site YSEARCH, une banque de données publique, qui facilite la recherche de personnes correspondant à votre profil.

Voir aussi

L'auteur

Jacques Ladyjensky

Jacques Ladyjensky