Le fantôme libéré
J’avais une amie qui a eu une enfance difficile et douloureuse. Elle a vécu ses premières années à passer de famille d’accueil en famille d’accueil. A l’âge de 10 ans, elle a été abusée sexuellement pendant plusieurs mois par le père de la famille qui l’accueillait. Tous les soirs, dans sa chambre, elle était terrorisée à l’idée que la porte ne s’ouvre et qu’il entre. Elle voulait pouvoir la fermer à clé et l’empêcher de rentrer.
Cette petite fille de 10 ans a grandi et a eu elle-même une fille. Je les ai connues quand sa petite avait environ 3 ans. Elle était très vive et intelligente, et avait un comportement tout ce qu’il y a de plus « normal » pour une fille de son âge. Pourtant, à partir d’un moment, et très soudainement, sans savoir pourquoi, elle a commencé à avoir une manie de vouloir fermer toutes les portes à clé. Dès qu’elle en voyait une, elle la claquait et la fermait. S’il y avait une clé ou un verrou, elle les fermait à chaque fois. Notre seule crainte était qu’elle ne s’enferme à l’intérieur, ou qu'elle ne se coince les doigts. Cette « manie » a duré comme ça plusieurs semaines. Un jour qu’elles étaient chez moi, ce qui devait arriver arriva : elle a réussi à fermer la porte de la salle de bain de l’intérieur. Heureusement pour elle, elle était dehors mais comme la porte était fermée de l’intérieur, impossible de l’ouvrir car il n’y avait pas de clé à l’extérieur. Par chance, la porte qui était en bois, n’était pas de très bonne qualité. Il a fallu la défoncer…
A cette époque, j’étais justement en train de lire le livre d’Anne-Ancelin Schüzenberger « Aïe mes aïeux», et je me suis souvenu de l’histoire de sa mère quand elle était enfant. Je lui ai parlé du livre que j’étais en train de lire, et je lui ai demandé si elle était d’accord de raconter à sa fille, le passage de son enfance concernant la période où elle se faisait abuser. Un jour, on a alors pris un moment pour s’asseoir tous les trois, et raconter à la petite l’histoire de sa mère, en lui disant que quand elle était plus jeune il y a eu un moment où elle voulait aussi que les portes soient fermées à clé parce qu’une personne lui faisait beaucoup de mal, et elle voulait s’enfermer pour ne pas que cette méchante personne l’atteigne. On lui a aussi dit que maintenant c’était fini : la personne n’est plus là et il n’y a plus de raison d’avoir peur, car il ne viendra plus. Elle a écouté très attentivement, sans rien dire. On pouvait sentir l’empathie qu’elle avait pour sa mère car ses yeux ont commencé à briller de quelques larmes quand elle a su que quelqu’un lui avait fait beaucoup de mal. Quand on a eu fini de parler, elle a juste acquiescé, sans un mot, puis et elle est repartie jouer.
Ce qui m’a stupéfait est qu’à partir de ce jour, elle n’a plus jamais retouché aux portes. Du jour au lendemain, c’était fini… Les non-dits étaient dits. Le trauma de sa mère était exprimé, le fantôme libéré : il n’avait plus de raison de continuer à vivre chez sa fille.
Philippe Chevaux, auteur du blog "Apprendre sur soi et avancer", est coach et formateur en entreprise. Il forme et accompagne les personnes, pour les aider à évoluer sur des challenges personnels qu’elles rencontrent dans leur quotidien.Ayant voyagé et vécu à l’étranger pendant plusieurs années, pour le plaisir et le travail, il a vite compris l’importance du questionnement de ses certitudes et l’utilité de mieux se connaître, pour évoluer sur son chemin de vie. Ce à quoi il veut contribuer : Aider les personnes à découvrir leurs ressources en elles pour favoriser la réalisation de ce qui est important pour elles, et les accompagner dans la mise en œuvre de leurs objectifs.