Un article de Pierre RAMAUT publié le 16 février 2016

Projections et préjugés: deux obstacles au pardon et à l'assimilation des traumatismes.

Tout compte fait, je le dis honnêtement, on a été élevée dans la haine des allemands.

Un témoin du film Les murs de Dinant d' André Dartevelle

Tant qu’il n’aura pas été assimilé, le passé traumatique de nos ancêtres continuera à se projeter inconsciemment et à parasiter notre image du monde, jusqu’à influencer plus ou moins gravement notre rapport au réel. Plus le psychisme s’activera à maintenir refoulés certains événements, plus il sera réfractaire à toute possibilité de changer de regard sur ceux-ci et de se libérer des préjugés (familiaux ou personnels), ce qui nous amène tout naturellement à la question du pardon et de l'intemporalité de la psyché .

L’intemporalité de la psyché et le « passé non passé » qui n’a pas rejoint l’histoire.

Le passé qui n’est pas passé est resté en suspens, bien présent particulièrement dans l’inconscient et n’a donc pas rejoint l’histoire.

Extrait de Intégrer ses héritages transgénérationnels de Thierry Gaillard

La question du pardon et de l’assimilation des traumatismes du passé est donc intimement liée à la question de la temporalité. Même après plusieurs générations, les héritiers des souffrances de leurs aïeux demeurent toujours fixés dans le temps où ces souffrances se sont produites. L’impact du traumatisme se situe donc dans un espace-temps non linéaire, car tant que nous avons à faire à « un passé qui n’est pas passé », les descendants restent captifs dans le temps des tortionnaires. Ce qui n’a pas été assimilé est toujours actuel, consciemment ou pas. Les lacunes d’intégration ne connaissent pas de limite temporelle, le temps n’agit pas véritablement sur ce qui est refoulé dans l’inconscient, perdure et se transmet de génération en génération. L’action du bourreau sur sa victime se prolongera donc au fil des générations en entravant la croissance et l’évolution naturelles de la descendance, qui restera figée dans le temps de l’ancêtre traumatisé tant qu’elle ne l’aura pas métabolisé, ici et maintenant.

Le pardon et l’intégration transgénérationnelle se situent dans deux temporalités bien distinctes.

Pour moi, la notion de pardon n’a pas de sens un siècle après, (…) demander pardon, accorder un pardon, n’a littéralement aucun sens des générations après… »

Valérie Rosoux, témoin du film Les murs de Dinant d'André Dartevelle

Si on prend au sérieux la notion de pardon , il me semble que c’est une évènement, un phénomène, assez extraordinaire qui peut surgir dans des conditions très particulières qui sont au moins que la victime, …, et le bourreau sont en présence l’un de l’autre parce qu’il y a une relation qui s’établit, …,que le bourreau reconnait les choses , qu’il se sente repenti ,donc qu’il y ait une forme de repentance qui soit exprimée . La victime accepte ça et puisse aller de l’avant avec le bourreau et continuer et transformer la relation qui était la leur

Valérie Rosoux, témoin du film Les murs de Dinant d'André Dartevelle

Comme le souligne avec beaucoup de pertinence Valérie Rosoux - chercheuse en sciences politiques et relations internationales - , la possibilité de pardonner exige une simultanéité entre le temps du bourreau et celui de sa victime. Pour les descendants de la victime il s’agit par contre d’envisager un tout autre processus qui n’est pas celui du pardon mais celui de l’intégration transgénérationnelle. Ce processus ne peut être possible que dans une temporalité qui est la leur et se situe dans l’ici et maintenant. L’objectif est de permettre une réécriture et une symbolisation des vécus ancestraux non assimilés pour les faire finalement entrer dans l’Histoire. A ce stade, vaincre le bourreau ne consiste pas à lui pardonner les atrocités qu’il a commises jadis, mais à permettre à la descendance de se libérer en créant une histoire qui n’a plus besoin de se répéter. Une fois intégrés, les souffrances des ancêtres ne seront plus à la charge des descendants, elles entreront dans le patrimoine individuel, familial et collectif à titre d’expérience, c’est-à-dire de connaissance agissante, de savoir-faire. Ces nouvelles connaissances leur permettront de s’émanciper des souffrances, des symptômes et des dysfonctionnements compulsifs qui étaient jusqu’ici leur lot. C’est dans ce sens que l’on peut parler d’une libération : libération des conséquences des exactions du bourreau à travers les générations.

Thérapie transgénérationnelle et commémorations

Ça prouve en tous cas que l’on a raison de maintenir le souvenir, et pas seulement de nos disparus, mais peut-être d’y associer toutes les victimes des barbaries. Parce que je crois que si nous ne le faisons pas, nous ne permettons pas à nos enfants, ni aux générations futures, de les éviter.

Un témoin du film Les murs de Dinant d'André Dartevelle

La psychanalyse a montré que les manifestations symptomatiques disparaissent lorsque le conflit d’origine, généralement inconscient, est réintégré. Appliquée aux phénomènes transgénérationels, une même conception fait correspondre les symptômes à des mémoires ancestrales qui ont été clivées, déniées ou refoulées, pour se protéger face à la monstruosité et à l’indicible . L’aliénation réclame donc qu’un verbe, relatif aux vécus non assimilés des générations précédentes, soit rétabli. La simple mise en mot des manques d’intégration pouvant dénouer les conséquences néfastes des héritages transgénérationels. La thérapie transgénérationnelle offre une chance aux nouvelles générations de se réapproprier des parts psychiques inconscientes méconnues. Sur le plan des traumatismes collectifs (Massacres, génocides, guerres, attentats, etc.), la dimension rituélique et symbolique des commémorations de ces évènements est nécessaire pour que les instances inconscientes (comme le rêve par exemple) puissent participer aussi aux processus d’intégration****et à la transformation du symptôme en symbole.

Documentaires

L'auteur

Pierre RAMAUT

Pierre RAMAUT

Psychanalyste & psychanalyste transgénérationnel

Psychanalyste, psychanalyste transgénérationnel et sophrologue. Créateur de plusieurs outils innovants dans le champ de la santé mentale et du développement personnel : Généasens, Commemoria et Waystobe. Créateur et accompagnateur de « Marcher pour progresser » et d’un cycle de découverte du chamanisme mondial en lien avec le transgénérationnel : « Découvertes en terres chamanes ».