Le génosociogramme et les capacités du cerveau droit
Le génosociogramme, outil utilisé en psychogénéalogie et en psychanalyse transgénérationnelle, fait prioritairement appel au cerveau droit, qui traite les informations de façon rapide, totale, spatiale et perceptive. Ce mode d'opération, très différent du mode verbal et analytique du cerveau gauche, se caractérise néanmoins par une complexité tout aussi grande: c’est pourquoi la psychanalyse « classique » peut parfois buter et devenir inopérante lorsque des éléments concernant les générations antécédentes aux parents -et donc hors du champ œdipien- sont impliqués dans les symptômes et la souffrance de « l’analysant ».
Le terme d' analysant a été pour la première fois utilisé par Jacques Lacan pour indiquer le caractère actif du participant lors de son analyse. La personne en analyse n'étant pas un patient puisqu'il ne s'agit ni de diagnostiquer une maladie mentale ni de guérir des symptômes, mais plutôt de faire émerger à la conscience des conflits refoulés, de permettre à l'analysant de s'avouer, de découvrir et de dire sa vérité de sujet.
Témoignage
Après deux longues « tranches » de psychanalyse (la première « lacanienne » et la seconde « jungienne » ), j’ai découvert avec Anne Ancelin Schützenberger la psychogénéalogie et son outil qu’est le Génosociogramme. J’ai ensuite poursuivi une psychanalyse transgénérationnelle, à Paris, avec l’équipe du «Jardin d’idées », une association fondée par le psychanalyste Didier Dumas dont j’ai aussi eu la chance de suivre la dernière année d’enseignement avant son décès.
L’utilisation du génosociogramme et la théorie de la psychogénéalogie m’ont permis d’identifier et de comprendre les logiques transgénérationnelles à l’œuvre dans l’origine des souffrances et des symptômes qui résistent parfois à la psychanalyse.
C’est ce constat qui me pousse à témoigner dans cet article, pour attirer l’attention des praticiens qui négligent encore cette dimension de l’inconscient transgénérationnel dans leur pratique. Pour ma part, et sur un plan tout à fait personnel, j’ai la certitude que je n’aurais pu trouver une issue satisfaisante à mon parcours psychanalytique sans utiliser ces outils et cette grille de lecture du transgénérationnel .
Je suis toujours convaincu de la pertinence « thérapeutique » et même « spirituelle » de la psychanalyse. Mais mon constat est que la psychanalyse, telle qu’elle continue à être pratiquée aujourd’hui, fût-elle « freudienne », « lacanienne », « jungienne »… ou autre, puisque ce qui compte vraiment est la possibilité d’une rencontre avec l’inconscient, ne permet pas de relier entre elles les multiples informations qui concernent à la fois les personnages familiaux, les personnages impliqués avec la famille, et les évènements qui s’accumulent sur plusieurs générations et tissent le fil et le sens notre propre histoire. Et que cette impossibilité a des raisons « neurophysiologiques »
Autrement dit, même si un analysant peu très bien avoir des prises de consciences exactes sur chacun des membres de sa famille et sur les personnages contextuels importants -et ce sur plusieurs générations- il lui sera impossible, dans le contexte d’une analyse classique, de relier mentalement ces informations entre elles pour en extraire de nouvelles logiques et de nouvelles significations.
Le problème est que les rapports de parenté tendent à échapperà notre compréhension : dès qu’ils vont au-delà des grands-parents, on ne comprend plus rien, on est perdu. Lorsqu’une personne - que ce soit dans le cadre professionnel ou privé- tente d’évoquer une bribe de sa propre généalogie, nous « décrochons » presque immédiatement (« euh.. le fils de qui ? de ta grand-tante ? Ah non, excuse-moi, mais là je suis perdu »). Si par chance l’interlocuteur veut vraiment vous suivre, il tendra presque automatiquement à fermer le yeux, pour tenter de se fabriquer une image mentale de ce que vous avez, en vain, essayé de lui raconter. Pour pouvoir nous repérer sur la base d’un énoncé, nous avons besoin d’avoir en face des yeux une image ou un dessin car il nous est impossible de nous construire à partir de mots, fussent-ils parfaitement exacts et précis, une représentation à la fois globale et immédiate.
Ce qui est vrai pour tout un chacun devient encore plus évident dans le cadre d’une cure psychanalytique, où l’analyste devrait réussir non seulement à se représenter votre grand-tante et ses enfants, mais à se représenter simultanément une foule d’autres choses, à savoir:
- la famille dans son ensemble
- les différents personnages qui la constituent
- les personnages familiaux « signifiants » pour notre analyse transgénérationnelle
- la qualité des liens qui unissent ces différents personnages
- l’influence des évènements contextuels (historiques , sociologiques, économiques, etc.) sur chacun de ces personnages.
- les dates, les évènements et leurs équivalents symboliques, les schémas qui se répètent de générations en générations…
- etc.
Il lui sera donc impossible, avec toute la bonne volonté du monde, d’y comprendre quelque chose !
Il se trouve que cet impossible n’est pas la conséquence d’une quelconque incompétence ou inattention de l’analyste ou de l’analysant, mais un fait objectif lié aux différents modes de fonctionnement des deux hémisphères de notre cerveau, communément appelés cerveau gauche et cerveau droit.
Lorsque des matériaux inter et trans-générationnels sont abordés en cure psychanalytique ou en psychothérapie, le protocole classique de la psychanalyse peut se montrer insuffisant, voire inopérant , car il fait principalement appel aux caractéristiques du cerveau gauche (parole / écoute, association libres de l’analysant / attention flottante de l’analyste, divan /ou face à face); il devient alors indispensable de faire appel au génosociogramme, qui est un outil visuel et s’adresse par conséquent aux caractéristiques et compétences de notre cerveau droit. .
En un seul coup d’œil, le génosociogramme permet de relier et d’articuler un nombre important et complexe d’informations, performance que le cerveau gauche (analytique, séquentiel) est incapable de réaliser. Grâce au cerveau droit, le génosociogramme permet à son utilisateur de saisir et de conscientiser un ensembles de relations signifiantes, de façon globale et instantanée.
Généalogie et psychogénéalogie.
Le cerveau droit a pour particularité de traiter de manière originale l'information dont il dispose.Les connaissances actuelles sur le fonctionnement du cerveau permettent de mieux comprendre ce processus.Fonctionnant principalement sur un mode intuitif, le cerveau droit permet de transformer les données ordinaires en une création originale et innovante, générant ainsi de nouvelles significations.
Il faut en effet bien distinguer la démarche qui consiste à simplement recueillir des données, de celle qui consiste à les transformer de manière originale : c’est là que se situe toute la différence entre la généalogie et la psychogénéalogie. La généalogie se contente de recueillir le plus d’informations possibles à propos d’une famille donnée, et de les organiser de façon cohérente et chronologique. La psychogénéalogie, elle, interprète le sens de ces données, en recourant non seulement à la déduction logique, mais aussi -mais surtout- à l’intuition, qui est du ressort exclusif du cerveau droit.
Voilà pourquoi le cerveau droit est directement mis à contribution dans l’outil intuitif et visuel qu’est le génosociogramme : il permet aux analysants de mettre en évidence et d’exploiter le sens « psychogénéalogique » des informations recueillies -par eux-mêmes ou par des généalogistes- sur l’histoire de leurs familles.
Cerveau gauche et cerveau droit
Chez l'être humain, le système nerveux est relié au cerveau de manière croisée : l'hémisphère gauche contrôle le côté droit du corps et l'hémisphère droit contrôle le côté gauche.Si par exemple votre cerveau gauche subit un traumatisme accidentel, la partie droite du corps sera plus gravement affectée, et inversement.
Pour ce qui est de leurs fonctions, les hémisphères cérébraux de l'homme se développent asymétriquement.
Le signe extérieur le plus remarquable de l'asymétrie cérébrale chez l'être humain est l'utilisation instinctive et préférentielle de la même main dans toutes les tâches quotidiennes: la main droite pour la grande majorité, la main gauche… pour les gauchers.
La fonction du langage et les facultés qui y sont liées sont principalement localisées dans l'hémisphère gauche chez la plupart des individus. Cette spécificité a été mise en lumière grâce aux observations sur les effets des traumatismes cérébraux.Il est apparu par exemple qu'un traumatisme au côté gauche du cerveau avait plus de chances de provoquer des troubles de la parole qu'un traumatisme de même gravité au côté droit.
Etant donné les liens étroits qui unissent la parole et le langage à la pensée, au raisonnement et aux fonctions mentales supérieures qui distinguent l'homme des autres espèces animales, les scientifiques du XIX° siècle ont appelé l'hémisphère gauche " hémisphère dominant » et l'hémisphère droit « hémisphère dominé ".
L’Occident a longtemps cru que le côté droit du cerveau était moins avancé, moins évolué que le côté gauche: une sorte de jumeau muet, de moindres facultés, contrôlé et entraîné par l'hémisphère gauche, siège du langage et de la raison.
Le corps calleux
Le corps calleux est un large « câble nerveux » composé de millions de fibres, qui met en relation les deux hémisphères cérébraux.
Vu l'importance de son volume, le nombre considérable de fibres qui le composent et sa position stratégique en tant qu'agent de connexion entre les deux hémisphères, le corps calleux devait, selon toute apparence, constituer une structure essentielle pour la bonne marche de l’ensemble. Pourtant, inexplicablement, il s’avère que le corps calleux peut être complètement sectionné sans conséquence significative apparente sur le fonctionnement des deux hémisphères.
Une série d'expériences sur les animaux ont démontré qu’outre à assurer la communication entre les deux hémisphères, une des fonctions principales du corps calleux était de permettre la transmission de la mémoire et de l'apprentissage. Pourtant, en cas de section du corps calleux, les deux moitiés du cerveau continuent de fonctionner indépendamment, ce qui explique l'absence apparente de conséquences sur le comportement et l'organisme.
En ce qui concerne les humains, des observations sur des patients de neurochirurgie ont permis de mettre en évidence que les deux hémisphères sont tous deux impliqués dans des fonctions cognitives supérieures, chaque moitié étant spécialisée, de manière complémentaire par rapport à l’autre, dans un mode de pensée spécifique d'une grande complexité.
Curieusement, les implications de cette nouvelle conception du fonctionnement cérébral débordent largement du champ neurologique et sont également très importantes dans le champ de la psychothérapie et de la psychanalyse : en effet, **elles mettent en évidence l’intérêt d’associer l’utilisation du génosociogramme à toute forme de psychothérapie d’orientation analytique ou de psychanalyse. **
Les commissurotomisés
On appelle ainsi les patients gravement handicapés par des crises d'épilepsie affectant les deux hémisphères cérébraux. Ces patients ont été observés après avoir subi une opération de sectionnement du corps calleux visant à isoler les deux hémisphères.
Malgré son caractère radical, cette intervention permet aux patient de recouvrer la santé et de maîtriser leurs crises d’épilepsie. L'apparence extérieure, l'attitude et la coordination motrice des patients apparaissent peu affectées; pour un observateur non avisé, leur comportement quotidien semble très peu modifié.
Un ensemble de tests appliqué à cette population particulière a permis de mettre en évidence les fonc[-]tions distinctes des deux hémisphères, et en particulier que chaque hémisphère perçoit sa propre réalité, ou plutôt que chaque hémisphère perçoit la réalité à sa façon.
- La partie gauche du cerveau, siège de la parole, domine le plus souvent chez les individus occidentaux dont le cerveau est intact, ainsi que chez les « commissurotomisés ». (Il n’en va pas de même chez les Chinois par exemple, chez qui le cerveau droit tend à être dominant : voir explication dans le commentaire de Nathalie Chassériau à la suite de cet article.
- En testant isolément l'hémisphère droit de ces patients on s’aperçoit en outre que la partie droite du cerveau, qui ne « parle » pas, est par contre capable de percevoir, de réagir, d'éprouver des sentiments, et de traiter des informations de manière totalement indépendante.
Dans un cerveau dont le corps calleux est intact, la communication entre les deux hémisphères fusionne ou du moins concilie les deux types de perception, préservant ainsi la conscience que nous avons de ne former qu'une seule personne, un être unique.
Les deux hémisphères traitent les informations de manières différentes.
Les observations faites sur les « commissurotomisés » ont permis de constater que, comme on l’a déjà vu les deux hémisphères se caractérisent par des modes cognitifs différents, mais que leur complexité est comparable, chez les commissurotomisés comme dans l’ensemble de la population.
Le mode de traitement des informations dans le cerveau droit est non verbal, rapide, total, spatial et perceptif. Bien que très différent du mode verbal et analytique du cerveau gauche, il est tout aussi important et tout aussi « sophistiqué ».
Ce dernier point est essentiel pour comprendre comment peut opérer le génosociogramme, là ou le protocole psychanalytique, basé sur la parole, va montrer sa limite « neurophysiologique ».
Certaines observations semblent indiquer que les deux modes de fonctionnement tendent à interférer mutuellement, empêchant ainsi la totale exploitation de leur potentiel (on entend d’ailleurs souvent dire que nous n’utilisons que 15 à 20% des capacités de notre cerveau). Et même si nous avons le sentiment de ne former qu'une seule personne, un être unique, il n’empêche que notre cerveau est double, chaque partie se caractérisant par un mode particulier de connaissance et de perception de la réalité extérieure.
On pourrait donc dire que nous avons tous deux esprits, deux consciences, unis et intégrés par le biais du corps calleux, le fameux câble de fibres nerveuses qui relie ces deux esprits, c’est-à-dire les deux hémisphères.
Les deux hémisphères peuvent travailler ensemble… ou pas.
Lorsque les deux hémisphères coopèrent, chacun contribue selon ses propres aptitudes et assume les tâches qui correspondent à son mode de traitement des informations : c’est la situation optimale mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Il peut en effet arriver que :
- les deux hémisphères fonctionnent indépendamment, l'un étant «branché» et l'autre plus ou moins «débranché».
- les hémisphères entrent en conflit, l'un d'eux essayant de « tirer la couverture à lui » c’est-à-dire de faire ce que l'autre serait mieux à même de réussir.
- chaque hémisphère a sa propre manière de garder pour lui certaines informations, à l'insu de l'autre. On peut donc dire que, dans certains cas, il est peut-être vrai que la main droite ignore ce que fait la gauche!
Le témoignage de la langue
De tout temps les hommes ont pressenti l'existence de deux parties distinctes dans le cerveau et les langues regorgent de mots et d'expressions suggérant cette distinction. Ces mots n'indiquent pas seulement une différence de position, mais aussi des différences de qualité ou de caractères essentiels.
Depuis toujours, les connotations positives pour la main droite et l'hémisphère gauche, et négatives pour la main gauche et l'hémisphère droit, se retrouvent dans la plupart des langues occidentales, comme par exemple :
- En français, le mot « gauche » (n'oublions pas que la main gauche dépend de l'hémisphère droit) signifie également «maladroit», « empoté ». Le mot « droit», quant à lui, signifie aussi « approprié », dans le «droit chemin» ou « honnête» dans «un homme droit».
- En latin, l’adjectif qui indique la gauche est « sinister » qui signifie aussi « maladroit », « de mauvais augure », « sinistre ». En latin toujours, le mot pour droite est dexter, d'où vient notre mot «dexté[-]rité», qui signifie «habileté» ou «adresse».
- En anglais, le mot left vient de l'anglo-saxon lyft qui signifie «faible » ou « inutile ». Et c’est un fait que, chez la plupart des droitiers, la main gauche est plus faible que la main droite ; mais le terme d'origine implique aussi une absence de force morale.
Bien que ces expressions aient généralement trait aux mains, nous sommes en droit de déduire qu'elles font également allusion aux hémisphères qui contrôlent les mains, en raison des connections croisées qui existent entre les mains et les hémisphères cérébraux. Et il apparaît clairement qu’il existe, en Occident, un très net préjugé favorable vis-à-vis de l’hémisphère gauche, qui commande tout ce qui est « droit » ou « à droite » et par extension tout ce qui est « rationnel », « logique », « performant », etc.
Deux modes de pensée et de connaissance
Parallèlement aux différentes connotations qui opposent la droite et la gauche dans la langue, des cultures très variées à différentes époques ont postulé l'existence d'une dualité ou « bilatéralité » dans la nature et la pensée humaines (voir annexe en fin d’article).
L'idée fondamentale est qu'il existe parallèlement deux «modes de pensée» tout aussi respectables l’un que l’autre et qui peuvent se repérer dans la vie quotidienne lorsque par exemple les gens disent d'une autre personne : « Ce qu'il (ou elle) dit semble juste, mais « quelque chose » me dit de m’en méfier ». Ou encore : « Je ne peux vous l'expliquer préci[-]sément avec des mots, mais «quelque chose » chez cette personne me déplaît».
Ces réflexions relèvent de l'observation intuitive que, dans le cerveau, il y a deux entités en jeu, traitant les mêmes informations de deux manières différentes, et parfois opposées. On a notamment coutume d’opposer réflexion et sensation, raisonnement et intuition, analyse objective et impression subjective.
L'histoire de la science regorge d'anecdotes où le chercheur, obsédé par un problème qu’il n’arrive pas à résoudre, fait un rêve dans lequel la réponse se présente d'elle-même, comme une métaphore intuitivement appréhendée. (Inutile de préciser que c’est son cerveau droit qui a pris le relais du cerveau gauche, qui tend à monopoliser l’activité durant la journée).
**C’est exactement de ce phénomène dont il s’agit dans l’utilisation du génosociogramme en psychogénéalogie.**Cet arbre généalogique, enrichi d’une quantité de connexions et d’intuitions de l’analysant à propos de sa parenté, permet à celui-ci de prendre conscience de contenus qui lui avaient jusqu’ici échappé, et ce de façon,visuelle, intuitive, rapide, complexe, totale, spatiale et perceptive. Il peut ainsi articuler instantanément un nombre important d’informations, et en retirer un sens nouveau.
Deux modes de traitement des informations
Notre cerveau est donc double, dans la mesure où il est doté de deux modes de connaissance. La bilatéralité de notre cerveau et de notre corps, et les caractéristiques distinctes attribuées à chaque côté, ne trouvent donc pas seulement une expression intuitive dans la langue : elles possèdent également une justification physiologique.
Etant donné que chez la plupart d’entre nous les fibres nerveuses de connexion sont intactes, nous ne percevons que rarement à un niveau conscient les conflits entre nos deux hémisphères : il aura fallu étudier les épileptiques « commissurotomisés » pour mettre ces conflits en évidence.
Néanmoins, étant donné que chacun de nos hémisphères recueille les mêmes données sensorielles, chacun peut gérer les informations à sa façon : chez certains individus, la tâche sera équitablement répartie entre les deux hémisphères, chacun s'occupant de ce qui correspond le mieux à son mode opérationnel; chez d’autres, l'un des hémisphères -généralement le gauche, dit « hémisphère dominant »- l'emporte, inhibant d’une façon plus ou moins radicale son concurrent de droite, le pauvre hémisphère « dominé ».
L'hémisphère gauche analyse, abstrait, compte, marque le temps, programme ses opérations étapes par étapes, verbalise et rationalise conformément à la logique. Par exemple: « Etant donné les nombres a, b et c, nous pouvons dire que si a est plus grand que b et que b est plus grand que c, a est nécessairement plus grand que c ». Cet énoncé illustre le mode de connaissance de l'hémisphère gauche: un mode analytique, verbal, déductif, séquentiel, symbolique, linéaire et objectif.
L'hémisphère droit, lui, nous permet de voir les choses imaginaires, seulement perceptibles à « l'œil de l'esprit », ou nous permet de nous souvenir de ce qui nous a frappés ou nous tient à cœur (par exemple nous représenter la façade de notre maison, le visage d’un ami, un paysage, etc.).
C’est grâce au cerveau droit que nous avons une bonne perception de l'espace, que nous voyons comment les parties s'assemblent pour former un tout ; c’est également grâce à lui que nous comprenons les métaphores, que nous rêvons et que nous créons de nouvelles combinaisons d'idées.
C’est encore grâce à notre cerveau droit que, chaque fois que quelque chose nous semble trop compliqué à décrire, nous sommes capables de l'expliquer par gestes : essayez par exemple de décrire un escalier en spirale sans faire le geste d'une spirale... Il en va de même lorsque vous tentez d’expliquer à quelqu’un, sans recourir à un dessin, une fraction même minime de votre arbre généalogique. Mission impossible !
C’est aussi grâce à notre hémisphère droit que nous sommes capables de représenter graphiquement nos perceptions et de les insérer dans notre arbre généalogique, et donc d’obtenir une représentation visuelle de l’ image que nous portons en nous de notre famille et des liens et des logiques qui nous unissent à nos aïeux.
« Eurêka ! » et génosociogramme
Comme on a l’a déjà dit, le mode de traitement des informations propre à l'hémisphère droit relève de l'intuition : c’est donc grâce à lui que nous avons parfois des révélations, des sursauts de clairvoyance, ces instants privilégiés où chaque chose semble trouver sa place sans que nous ayons à les considérer dans leur ordre logique.
Dans ces moments-là -et ils sont pas rares lorsqu’on travaille son génosociogramme- la plupart des gens s'exclament spontanément: «Ça y est ! Je vois !» ou «Ah! oui, maintenant je vois comment ça se profile».
L'exemple classique est le fameux « Eurêka ! » (J’ai trouvé!) que l’on attribue à Archimède. Si on en croit l'histoire, Archimède prenait un bain lorsqu’il aurait été saisi d'une inspiration soudaine qui l'aurait mené à formuler son fameux principe : le poids d'eau déplacée permet de déterminer le poids d'un solide immergé.
L’hémisphère droit n’a pas besoin de réfléchir, d’analyser et de déduire, il va droit au but d’une façon essentiellement intui[-]tive et subjective. Son champ d’action est relationnel, global et intemporel.
Et c’est bien d’un « Euréka ! » qu’il s’agit, chaque fois que, devant son génosociogramme, l’analysant prend conscience de contenus jusque là ignorés, concernant des transmissions transgénérationnelles indésirables et qu’il n’avait jusqu’alors jamais soupçonnées.
Yin/Yang - Cerveau droit/Cerveau gauche, deux façons de dire pratiquement la même chose ?
Un commentaire de Nathalie Chassériau, écrivain,journaliste et conférencière
D’Ouest en Est, de fascinantes correspondances : cerveau gauche / cerveau droit et symbole chinois du Taiji
La théorie occidentale du « cerveau double » trouve d’étonnantes résonances chez les Chinois dans le couple Yin/Yang, les deux énergies qui sont pour eux à la base même de l’existence, et évoquent irrésistiblement notre binôme cerveau droit (Yin) /cerveau gauche (Yang).
Beaucoup d’Occidentaux réduisent le Yin/Yang à la notion de masculin/féminin, parce que le Yin est associé au faible, au souple, à l’obscur, à l’intérieur et donc au féminin, alors que le Yang représente la lumière, la chaleur, l’extériorité, la force, la rigidité et donc le masculin. Mais cette simplification est réductrice : que nous soyons homme ou femme, nous sommes tous animés par ces deux principes à la fois antagonistes et complémentaires qui, comme le cerveau droit et le cerveau gauche, se combattent et s’attirent en un échange incessant. Cet échange est représenté dans la célèbre figure noire et blanche du taiji, qui illustre le moment -très rare- d’équilibre parfait entre le Yin obscur et le Yang lumineux: dans la réalité, un des deux tend toujours à prédomine sur l’autre, selon les nécessités du moment ou les tendances propres à chaque individu.
Pour les Chinois, il ne peut y avoir ni bonne santé, ni équilibre intérieur, ni réalisation durable sans une « collaboration » aussi harmonieuse que possible entre la pulsion Yang à agir, combattre, s’imposer, et la propension Yin à écouter, intégrer, faire mûrir, s’adapter… Le Yin fonctionne sur le mode intuitif et synchrone (capacité à relier des éléments étrangers entre eux qui adviennent en même temps), alors que le Yang rationnel et analytique tend à se concentrer sur un problème à la fois pour mieux en venir à bout. Yin et Yang ne sont pas à proprement parler des qualités ou des attributs, mais plutôt des modes opératoires qui n’acquièrent de sens que dans leur complémentarité.
Contrairement au mode de pensée occidental, globalement dominé par le mode Yang, la sagesse chinoise privilégie le Yin, c’est-à-dire la contemplation plutôt que l’action, l’accueil et l’intégration plutôt que l’affrontement. De la même façon, les Occidentaux ont toujours donné la priorité au cerveau gauche bien avant de soupçonner son existence, alors que les Chinois recourent d’abord au cerveau droit, sans savoir de quoi il s’agit. La raison en est expliquée par le sinologue Cyrille Javary, grand spécialiste de l’écriture chinoise:
« Pour lire un idéogramme, le cerveau gauche est assez inopérant parce qu’on ne peut pas épeler un idéogramme. Même s’il est composé de plusieurs éléments ayant individuellement une signification propre, son sens ne résulte pas de leur addition, mais du saut qualitatif produit par leur association. Sa lecture met en jeu l’hémisphère droit, la partie de notre cerveau qui excelle dans la reconnaissance des formes et qui fonctionne en logique floue, cette aptitude qui nous fait parfois dire « j’ai déjà vu cette tête-là quelque part ».
Cette primauté du cerveau droit dans la lecture des idéogrammes explique sans doute l’aptitude de l’esprit chinois à percevoir la globalité comme une évidence et la causalité linéaire comme un exotisme… » Extrait de Pourquoi les Chinois n’ont pas le même cerveau» de Cyrille Javary dans Nouvelles Clés
C-G Jung met lui aussi en jeu les deux principes
Il n’est évidemment pas question de calquer, tel quel, le binôme jungien Anima/Animus sur le Yin/Yang, pas plus que sur le Cerveau gauche/Cerveau droit. Il existe pourtant des points de contact qui méritent que l’on s’y arrête.
L’Anima est la représentation inconsciente du féminin chez l’homme, et l’Animus la représentation inconsciente du masculin chez la femme. On pourrait dire, pour faire simple, que l’Anima est la partie féminine de la psyché masculine, et l’Animus la partie masculine de la psyché féminine.
Chaque fois qu’une femme recourt à l’analyse rationnelle, au jugement, à l’affirmation de soi etc., c’est son Animusqui s’exprime (mais aussi son Yang , mais aussi son cerveau gauche). Tant que cet efficace principe masculin n’éprouve pas le besoin « d’en rajouter », tout va pour le mieux ; mais c’est quand il devient envahissant (paroles tranchantes et péremptoires, jugements à l’emporte-pièce…) que les choses se gâtent : Jung parle alors d’ « *Animus négatif *» ou même de possession par l’Animus. Les « *femmes-Animus *» ne sont pas toujours faciles à vivre, mais il faut dire à leur décharge que des millénaires de préjugés réducteurs à leur endroit les ont quelque peu obligées à forcer le ton pour réussir à se faire entendre…
Chez l’homme, une présence envahissante de l’Anima pourra se traduire par une tendance à l’autocommisération, la passivité, les caprices et les changements d’humeur… alors qu’une Anima« bien dosée » est une source d’incontestable enrichissement pour la psyché masculine (comme l’est le Yin, comme l’est le recours au cerveau droit…).
N.B Pour finir, une petite considération psychogénéalogique, et qui n’est pas une bonne nouvelle : l’Animus négatif se transmet très facilement d’une femme à l’autre, sur plusieurs générations. Ce regrettable phénomène est parfois décrit par l’entourage masculin avec une phrase du genre : « Dans la famille, les femmes ont une forte personnalité ». Une façon de dire qu’on n’y peut rien, mais qu’on a intérêt à se tenir à carreau !
Commentaires
Publié le 01 octobre 2011
Je souhaite, par la présente, simplement remercier les auteurs des beaux travaux présentés dans cet article.
Je suis tout à fait en accord en ce qui concerne l'évolution de la psychanalyse et la généalogie. Les relations, sous l'angle des non-dits, des affects de nos parents, positifs ou négatifs, sont (pour moi) la glaise organique de notre constitution terrestre pétrie par les mains célestes d'un habile artiste ! A l'horizon de notre perpétuel devenir, les couleurs des cœurs baignent dans l'Amour comme les poissons se meuvent dans l'eau !
Publié le 07 février 2016
Merci à Pierre Ramaut pour sa présentation précise et éclairante du génosociogramme et du fonctionnement des 2 hémisphères de notre cerveau. Pour moi qui n'ai encore lu aucun livre sur la psychogénéalogie ou sur la psychanalyse transgénérationnelle, cet article, et ce site en général, m'ouvrent de très larges perspectives. Puis je lis, à sa suite, le très intéressant article de Nathalie Chassériau sur cerveau droit/cerveau gauche, yin/yang, et animus/anima. Et qu'est-ce que j'apprends ? Que les femmes qui "portent la culotte" auraient un animus négatif, un principe masculin exacerbé, en quelque sorte. Que cet animus négatif se transmette facilement d'une femme à l'autre, sur plusieurs générations, je l'avais pressenti depuis que j'ai été en âge de 'me lancer' dans la vie. En observant la 'forte personnalité' de ma mère et de la mère de ma mère et la manière dont elles savaient obtenir des hommes de leur entourage proche (maris, fils, gendres), bon gré mal gré, ce qu'elles voulaient, j'ai décidé de briser cette chaîne en ne procréant pas. Je n'ai pas voulu perpétuer cette transmission...