Un article de Maud Pannequin publié le 08 janvier 2020

Le cancer de l’appareil génital ou le cancer gynécologique (1) touche aujourd’hui en France plus de 13.500 femmes par an, dont 3.000 nouveaux cas par an pour le cancer du col de l’utérus (2), 6.300 pour celui de l’utérus (3) et 4.400 pour le cancer de l’ovaire. Il y a 10 ans, 2.780 femmes étaient touchées par le cancer du col de l’utérus, 6.300 par le cancer de l’utérus et 4.440 par celui de l’ovaire, soit un nombre stable de femmes touchées par an avec un taux de natalité de 1,9 en France (4). Ces résultats suscitent une polémique transdisciplinaire sur la prévention et les traitements médicaux de ces femmes. Pourquoi le nombre de femmes touchées par le cancer du col de l’utérus ne diminue-t-il pas plus nettement alors que la prévention par le dépistage du papillomavirus permettrait aujourd’hui d’éradiquer ce cancer? L’observation clinique montre que ces femmes ne procèdent effectivement pas à un dépistage régulier, pour des raisons aussi variées et vastes que les causes probables du cancer. Si les femmes victimes d’un cancer s’interrogent fréquemment a posteriori sur la raison de leur maladie, rares sont les femmes qui s’interrogent a priori sur leurs chances de contracter un cancer du col de l’utérus. Cette observation fonde ma réflexion sur l’intérêt d’une recherche centrée exclusivement sur le préventif si par ailleurs le besoin de sens à postériori n’est pas entendu. Quant aux cancers de l’utérus, de l’ovaire et de l’endomètre, ils ne sont pas aisément dépistés et font malheureusement très fréquemment l’objet d’un diagnostic tardif avec des causes complexes et multifactorielles. Dans ce contexte, les femmes touchées sont souvent extrêmement fragilisées sur le plan physique et sur le plan psychique du fait de leur maladie et de l’annonce d’une mort possible. Elles traversent bien souvent des opérations chirurgicales traumatisantes et dans l’urgence, comme l’hystérectomie (5), des traitements lourds comme la radiothérapie ou la chimiothérapie ainsi qu’une surveillance telle que leur quotidien est rythmé de visites hebdomadaires chez le gynécologue, le chirurgien, l’oncogénéticien (6), le cancérologue, l’anesthésiste et plus régulièrement encore l’infirmier et le rhumatologue. La maladie s’accompagne d’un foisonnement de propositions d’interprétation sur ses causes; tant et si bien que ce dernier se personnifie. Il prend tantôt le caractère du stress vécu au travail, tantôt celui des suites d’un divorce ou encore celui de conséquences génétiques irréversibles... Avec ce lot d’interprétations, aussi variées que le sont le monde hospitalier et ses points de vue divergents, l’écoute offerte à ces patientes l’est également. La peur de la récidive tient une place de plus en plus importante chez ces femmes qui tentent alors, bien souvent en vain, d’ôter toute source de stress ou de changement de leur quotidien. La rémission, si elle intervient, est un soulagement pour le corps hospitalier, mais constitue aussi le moment où le suivi médical s’arrête pour la patiente, ce qui s’accompagne de l’interruption des soins et des liens ainsi créés, et donc de l’irruption de l’angoisse... Le propos de cet article n’est donc pas de se prononcer sur les facteurs de risque de la contraction du cancer d’un ou plusieurs des organes de l’appareil de reproduction féminin, ni de dresser des statistiques sur les possibles causes transgénérationnelles ayant déclenché le symptôme. Il n’est pas non plus de remettre en question le suivi thérapeutique et les traitements médicaux aujourd’hui employés pour traiter ces femmes touchées par un cancer gynécologique. Il s’articule plutôt à la croisée entre la pratique médicale et ses divers intervenants (cancérologie, génétique, oncogénétique) et ma pratique en analyse transgénérationnelle. Après quelques rappels biologiques sur le cancer de l’appareil de reproduction, j’aborderai donc les différents aspects cités précédemment en parcourant les apports de la génétique, de l’épigénétique et de l’analyse transgénérationnelle, domaines dans lesquels se croisent les mêmes préoccupations sur les possibles origines des symptômes et maladies. Cet article sera également nourri de l’expérience et des propos du chef de Pôle « mère-enfant » (7) au Centre Hospitalier de Verdun et de la sage-femme coordinatrice psychologue et sexologue, ayant permis à cette recherche en centre hospitalier d’aboutir.

Biologiquement, qu'est-ce que le cancer de l'appareil génital ?

Le mécanisme de cancérisation est un phénomène progressif comportant plusieurs étapes au cours desquelles il peut être diagnostiqué. Tout commence donc au niveau d’une cellule saine qui, comme toutes celles de l’organisme, a inscrit dans son génome la capacité de se diviser, de se spécialiser, mais aussi de mourir. La première étape, appelée « l’initiation », correspond à une lésion majeure au niveau de l’ADN d’une cellule saine, sous l’influence de l’environnement (tabac, soleil, alimentation) de certains agents chimiques ou physiques, ou encore de certains virus comme le papillomavirus humain (HPV). Cette altération, cette mutation génétique, le génome humain est en mesure de la réparer, notamment grâce au système immunitaire du corps qui dispose de « cellules tueuses » capables de détecter ces cellules anormales et de les éliminer. C’est seulement lorsque ce système immunitaire est défectueux ou débordé que la cellule conservera la ou les mutations et échappera au système de régulation. Dans un deuxième temps, appelé « la promotion », la cellule ainsi transformée va se développer et proliférer en formant un groupe de cellules identiques. Enfin, dans une dernière phase, « la progression », cette même cellule va acquérir les caractéristiques de la cellule cancéreuse et pouvoir évoluer via le sang, la lymphe, jusqu’à former des métastases. Parmi ces caractéristiques figurent une non réceptivité aux signaux qui favorisent ou freinent la division cellulaire et donc une capacité à se diviser indéfiniment, mais surtout une capacité à échapper au processus de mort cellulaire programmée. En d’autres termes, une cellule cancéreuse est une cellule qui « refuse de mourir ». Il est assez troublant de constater qu’une maladie pouvant causer la mort est une prolifération de cellules voulant continuer à vivre !

Ainsi se dégagent deux axes majeurs dans l’apparition du cancer :

  • l’axe génétique et épigénétique, c’est à dire l’apparition du cancer du fait de prédispositions génétiques et/ou épigénétiques;
  • l’axe immunitaire, c’est à dire l’apparition du cancer à cause d’un système immunitaire fragilisé ou débordé comme c’est le cas du cancer du col de l’utérus dont le processus de cancérisation passe par la prolifération du papillomavirus.

Aussi, nous verrons plus bas en quoi l’épigénétique rejoint les observations d’analyse transgénérationnelle et en quoi les traumatismes vécus par les ascendants peuvent impacter le génome humain ou le système de défense immunitaire des générations suivantes.

L’appareil génital regroupe l’utérus (col et corps de l’utérus), les ovaires, l’endomètre, les trompes, la vulve et le vagin. Etant donné la rareté des cancers des trompes, du vagin ou de la vulve, le cancer de l’appareil génital concerne plus communément le cancer du col de l’utérus (partie basse de l’utérus), le cancer de l’utérus (partie haute de l’utérus) et le cancer de l’endomètre (muqueuse utérine : le plus fréquent en France).

Je ne manquerai pas de différencier ces organes dans l’accompagnement de ces patientes, considérant le rôle de chacun dans les différents aspects de la reproduction, rôle qui sera sans doute signifiant pour ces femmes ayant été touchées par le cancer. Aussi est-il important de noter que le cancer de l’ovaire pourra trouver son sens dans l’exploration des différents aspects de la fertilité, de la fécondation, de l’origine ou de la filiation, tandis que le cancer de l’endomètre ou de l’utérus pourra alimenter une réflexion sur la sexualité, l’embryogenèse, la gestation ou l’accouchement.

Enfin, l’approche du symptôme s’effectuera dans l’observation et l’analyse de sa représentation psychique (avec un travail de symbolisation par l’image) et dans la mise en lumière de ses possibles bénéfices secondaires. Je me rapprocherai donc notamment de l’approche du psychosoma de Joyce McDougall qui considère les manifestations psychosomatiques comme des « actes- symptômes » au même titre que les addictions ou toutes les « tentatives de décharger autrement quelque chose qui n’a pas pu être élaboré psychiquement ». Le cancer de l’appareil génital est donc une maladie qui vient questionner l’origine, la sexualité et la matrice originelle. Nous verrons à quel point ces notions sont intrinsèques à la génétique, l’épigénétique, la psychanalyse et l’analyse transgénérationnelle.

A l’heure où le déterminisme ne suffit plus à éclairer le cancer.

Le glissement de la génétique à l’épigénétique, du traitement médical vers de nouvelles approches thérapeutiques ainsi que les résultats obtenus dans le traitement des polysomatisants par la clinique du psychosoma, ne cesse de nous montrer les limites d’une approche qui se voudrait uniquement axée sur le déterminisme scientifique ou l’accompagnement psychologique exclusivement centré sur l’intrapsychique. Tout porte à croire en effet que c’est par un accompagnement systémique et transdisciplinaire que nous arriverons à gagner du terrain sur les effets physiologiques et psychologiques des maladies comme le cancer.

Aussi jusqu’à très récemment, les recherches scientifiques et génétiques ne se préoccupaient pas de soigner mais plutôt de trouver et prouver les causes et les facteurs de risque du cancer, permettant ainsi des découvertes majeures utiles pour diagnostiquer les stades précancéreux (type cancer du col de l’utérus ou cancers d’origine génétique) et sauver de nombreuses vies. Pourtant le constat actuel questionne car comme le dit Edith Heard sans sa conférence « Une brève histoire du cancer, génétique et épigénétique », le cancer, contrairement à ce que l’on pense, est une maladie qui existe depuis toujours puisque « les premiers textes qui relatent du cancer datent de l’époque égyptienne ». Ce n’est donc pas la « maladie de notre siècle » comme certains la nomment et elle n’est pas uniquement due aux facteurs environnementaux tels que le tabagisme, la pollution, l’alimentation... Par ailleurs, « on ne sait pas guérir directement les mutations génétiques ni les problèmes chromosomiques », souligne Ariane Giacobino , chercheuse et médecin généticienne agrégée à l’hôpital et la faculté de médecine de l’université de Genève. Seulement 7 % des cancers gynécologiques seraient génétiquement transmissibles en comptabilisant le cancer du sein (5 à 10 %), le cancer de l’endomètre (2 à 5 %) et le cancer de l’ovaire (10 %) . Ce qui fait que nos espoirs de traitements par diagnostics précoces et génétiques s’en trouvent considérablement amoindris, surtout pour les cancers de l’utérus et de l’endomètre. Ainsi que je l’ai souligné plus haut, même les découvertes majeures sur le cancer du col de l’utérus et notre capacité à le diagnostiquer et le traiter en amont ne suffisent pas à l’éradiquer. Aussi les découvertes récentes dans le domaine de l’épigénétique (cf. plus bas) posent deux questions :

  • Explorons-nous vraiment toutes les possibilités thérapeutiques et préventives autour du cancer?
  • Quelle est la qualité de l’accompagnement psychologique des femmes en rémission dans l’après-soin?

Quand les découvertes en épigénétique viennent nourrir les observations de la clinique transgénérationnelle

Il y a déjà quatre ans, une découverte scientifique majeure vient bouleverser le champ des sciences humaines: « les traumatismes subis laissent une trace biologique dans l’ADN, ces traces ne sont donc pas seulement psychiques. » énonçait Ariane Giacobino lors d’une de ses conférences. C’est l’équipe du professeur Alain Malafosse du département de psychiatrie de l’UNIGE, en collaboration avec le Département de génétique et de développement à Genève qui en est à l’origine, en découvrant après une étude sur 101 sujets réalisée en 2011, que certaines pathologies psychiatriques telles que la bipolarité, étaient en réalité le résultat d’une modification des mécanismes de régulation des gènes suite à des expériences délétères telles que la maltraitance, les abus, viols... vécus par nos ascendants. Les nombreuses découvertes précédentes allaient dans le sens commun de ces traces de traumatismes vécus par nos ancêtres et transmises aux générations suivantes par des mécanismes épigénétiques:

  • 2005: Michael Skinner, chercheur à l’université de Washington avait pu observer la persistance de marqueurs épigénétiques à travers les générations sur des souris exposées à des perturbateurs endocriniens;
  • 2005: Yehuda met en lumière une transmission intergénérationnelle du stress;
  • 2007-2008: Lumey et Heijmans démontrent des variations épigénétiques et des troubles psychologiques chez les personnes nées de mères ayant souffert de malnutrition pendant leur grossesse lors de la 2ème guerre mondiale en Hollande;
  • 2010: Ariane Giacobino observe chez les souris la transmission sur 3 générations de marqueurs épigénétiques en lien avec une exposition à un pesticide.

Or, en reprenant les étapes biologiques de ces mécanismes épigénétiques, on peut s’apercevoir qu’ils sont eux-mêmes à l’origine du développement de certaines maladies telles que le cancer.

Qu'est-ce que l'épigénétique ?

L’épigénétique est généralement définie comme l’ensemble des modifications de l’expression d’un gène sans que sa séquence ADN ne soit modifiée et pouvant être transmises par division cellulaire. Si chacune de nos cellules contient respectivement 46 chromosomes hérités de nos parents et représentant l’ensemble de notre patrimoine génétique, elles n’en feront pas toutes le même usage. Un neurone n’aura donc pas du tout la même fonction qu’une cellule située dans l’utérus, de même que des jumeaux homozygotes ne seront jamais totalement identiques en tous points. Les mécanismes à l’origine de cette différenciation cellulaire sont donc regroupés dans ce que nous appelons l’épigénétique. Ces modifications épigénétiques réversibles provoquent des changements dans l’activité des gènes, dans la forme et le comportement cellulaire. Elles sont à l’origine de l’expression ou non de nos gènes. A l’origine, nous possédons 46 chromosomes compactés dans une cellule microscopique. Chaque chromosome est composé de deux brins d’ADN formant une double hélice contenant environ 30 000 gènes. Ces deux brins s’enroulent autour de complexes formés par des protéines nommées histones, le tout constituant des structures appelées nucléosomes. Ces derniers s’enroulent eux-mêmes de manière plus ou moins « serrée », formant des fibres de chromatine plus ou moins denses. Plus la chromatine est dense - on l’appelle alors hétérochromatine -, moins les gènes sont accessibles et moins ils s’expriment. A l’inverse, les zones relâchées (euchromatine) seront accessibles aux complexes enzymatiques et permettront aux gènes de s’exprimer, comme si les gènes étaient plus ou moins visibles du fait de la densité du « compactage » de la chromatine. C’est donc au niveau des histones qu’intervient l’épigénétique par un ensemble de modifications qui vont influencer l’état de compaction de la chromatine et l’expression des gènes. Les combinaisons de ces modifications formeront un code épigénétique qui, une fois lu par des domaines protéiques spécifiques, entraîne diverses réponses à des endroits précis du génome.

Les mécanismes épigénétiques et le cancer

Pour le cancer, les modifications épigénétiques qui nous intéressent sont la méthylation de l’ADN et l’acétylation des histones (cf. schéma ci-dessous). L’acétylation des histones est un processus enzymatique permettant de rendre la chromatine plus «flexible» et l’ADN plus accessible, rendant le gène actif. La méthylation, à l’inverse, est un mécanisme qui, par l’addition d’un groupement méthyle, conduit à la répression de l’expression du gène.

Une perte de méthylation est l’une des premières modifications épigénétiques identifiées dans les cellules cancéreuses dans les années 1980. Quelques années plus tard, on observait une hyperméthylation spécifique conduisant à réprimer l’expression de certains gènes suppresseurs de tumeurs. Ainsi ces derniers sont le plus souvent inactivés, permettant aux cellules cancéreuses de se diviser sans s’arrêter, échappant au processus d’homéostasie et de mort cellulaire.

Les recherches en épigénétique ont donc permis de démontrer que, parmi les facteurs intervenant dans les modifications épigénétiques, se trouvaient les traumatismes et expériences délétères vécues dans l’enfance ou par une femme enceinte, et qu’ils avaient pour conséquence le développement de troubles psychiques et de cancers. En d’autres termes, si des traumatismes créent des modifications épigénétiques mesurables, et que ces mêmes modifications sont à l’origine des mécanismes de cancérisations, alors des traumatismes peuvent être en partie à l’origine du développement de cancers. Les facteurs environnementaux tels que l’alimentation (entraînant le diabète notamment) et l’environnement sont si nombreux qu’ils ne peuvent être isolés complètement, à part peut-être sur des souris. Aussi, cette complexité nous interdit tout raisonnement hâtif qui énoncerait que les traumatismes vécus par nos ascendants sont la cause des cancers contractés par les descendants. En revanche, le sujet n’ayant pas toujours de marge de manœuvre sur son environnement, en a beaucoup plus sur l’élaboration des traumatismes vécus par ses ascendants. D’autant qu’une grande similitude existe entre la transmission épigénétique et la transmission psychique observée dans la clinique transgénérationnelle.

Transmissions épigénétiques et transmissions transgénérationnelles

La transmission épigénétique transgénérationnelle est observée en 2005, lors des travaux du chercheur Michael Skinner de l’université de Washington sur des rates gestantes exposées à des perturbateurs endocriniens. Il a ainsi pu observer la persistance de ces marques épigénétiques à travers les générations. Ariane Giacobino observera elle-même, en 2010, une transmission de marqueurs épigénétiques sur 3 générations de souris, dont la première aura été exposée à des pesticides. Ce type de transmission sur 3 ou 4 générations est l’un des fondements de l’analyse transgénérationnelle qui met en lumière des liens possibles entre des malaises psychiques chez les descendants et des traumatismes vécus par les ascendants. Que ce soit sous forme d’identifications au fil des générations, de répétitions inter ou transgénérationnelles, de fantôme ou de secret, les transmissions sont en effet au cœur de notre pratique. Serge Tisseron lui-même avait observé de manière similaire aux observations biologiques de Skinner les répercussions psychiques transgénérationnelles du secret, sur trois générations . Il identifie donc ce qu’il nomme les « ricochets » d’un secret de famille sur trois générations. A la première génération, celle du secret, il parle « d’indicible » (incapacité à dire), à la deuxième « d’innommable » (incapacité à nommer) et à la troisième « d’impensable » (incapacité à penser l’idée et donc l’existence même du secret). Au cours de ces 3 générations, et comme en épigénétique, l’information n’est pas visible (de même que le cancer ne se transmet pas de façon directe par l’ADN), mais si l’on observe l’expression de cette information, comme les mimiques, les comportements adaptatifs et relatifs à ce secret, le secret se devine. Que ce soit dans l’épigénétique ou dans la clinique transgénérationnelle, nous observons donc des « héritages psychiques » qui laissent des traces, des cicatrices dans notre ADN et notre psyché et qui se transmettent au fil des générations, aboutissant à une symptomatisation psychique ou/et physique. Aussi, pour ne pas être emportés dans l’aspect vertigineux des traumatismes transgénérationnels et leur transmission aux générations suivantes, il me semble primordial de mettre en avant le caractère réversible de ces mécanismes qui, contrairement à l’aspect irréversible de l’hérédité génétique telle qu’on l’entendait jusqu’à aujourd’hui, nous ouvre la porte d’une marge de manœuvre thérapeutique.

La réversibilité des mécanismes épigénétiques

C’est ce que souligne Ariane Giacobino dans son livre : « Nous avons la preuve que ces marques – qui jouent un rôle dans la réponse à certains facteurs environnementaux, comme le stress ou l’exposition à des toxiques, et participent au développement d’infertilités, d’affections psychiques, de cancers – peuvent disparaître, et le gène retrouver son fonctionnement normal...» . Aussi, ne pouvant isoler complètement les paramètres influençant les sujets ayant participé aux études, on ne sait rien de l’élément, du facteur clef ou de la combinaison de facteurs qui pourraient être à l’origine de cette disparition. En revanche, Ariane a elle-même pu effectuer une recherche test sur les effets de l’acupuncture, sans trop d’attentes au départ et aura été stupéfaite par le résultat : « sur huit patients ayant mené l’étude jusqu’à son terme, les résultats montrent clairement un effet massif de l’acupuncture sur le gène BDNF (gène déterminant dans les troubles de l’anxiété et le burn-out) ». Nous savions que certains symptômes et maladies sont réversibles, notamment par la clinique du psychosoma. Maintenant, nous savons que les marques épigénétiques à l’origine de ces maladies le sont aussi. Le point commun essentiel qui se tisse donc entre l’épigénétique et l’analyse transgénérationnelle est la nuance entre hérédité et héritage. Là où l’hérédité induit l’immuable, l’inné, l’héritage lui, admet que nous sommes tous prédéterminés génétiquement, épigénétiquement, biologiquement, psychiquement et culturellement d’un héritage qui se transmet au fil des générations, mais que cet héritage est transformable et muable. Cette découverte est majeure pour les patientes ayant été touchées par un cancer gynécologique, car elle leur ouvre des perspectives dans la transmission de ce cancer à leur descendance. Elles auront quelque chose à répondre à la question « Vais-je transmettre ce cancer à ma fille ?» ou à « Maman, crois-tu que je vais moi aussi avoir un cancer de l’ovaire ?».

Conclusion

Nous pouvons dire que les traumatismes laissent des traces, des « cicatrices épigénétiques », qui ne sont plus simplement inscrites dans notre psychisme, mais bien dans l’expression de nos gènes. De cette manière, ils se transmettent donc psychiquement et physiologiquement, de façon intergénérationnelle et transgénérationnelle. Les liens entre les traumatismes vécus par nos ascendants et les conséquences physiologiques sur les descendants d’une même famille ne sont donc plus à prouver. Ainsi les sciences viennent étayer les observations et hypothèses qui étaient déjà faites dans le domaine de la clinique psychosomatique mais surtout de la clinique du transgénérationnel. La première fenêtre de marge de manœuvre offerte par ce regard épigénétique est la réversibilité qui pose la question d’ouvrir un peu plus le monde du soin aux accompagnements thérapeutiques. Le second axe de réflexion s’oriente autour de l’apport d’un regard transgénérationnel dans cet accompagnement. La maltraitance, les traumatismes (guerres, viols...), les expériences délétères, les famines, les flux migratoires ont des conséquences transgénérationnelles psychiques et épigénétiques transmissibles de génération en génération. J’interroge donc, dans le cas du cancer de l’utérus ou de l’ovaire, l’impact ultérieur et transgénérationnel des IVG, fausses couches non élaborées, deuils d’enfants morts trop jeunes, séparations traumatisantes à la naissance ou dans la petite enfance, viols, et toutes les autres expériences pouvant faire trauma dans la vie d’une femme ou de son enfant. En d’autres termes, je questionne la possibilité que ce type de traumatismes non élaborés puisse, par transmission épigénétique et psychique, participer à engendrer un cancer gynécologique 3 ou 4 générations après et puissent en ce sens nourrir les fondations d’un accompagnement thérapeutique de ces femmes dans l’après-cancer.

C’est la pertinence de cette question qui a été entendue au Pôle mère-enfant de la maternité de Verdun et qui a permis une étude sur quatre femmes en rémission, ayant été touchées par un cancer gynécologique.

Notes

(1) L’appareil génital féminin regroupe la vulve, le vagin, les trompes, le col de l’utérus, le corps de l’utérus ainsi que les ovaires et l’endomètre. La vulve, le vagin et les trompes sont exclus de cette analyse car les cancers sur ces organes sont relativement rares.
(2) Le col de l’utérus est la partie basse et étroite de l’utérus.
(3) Dans cet article, nous appellerons "cancer de l’utérus" le cancer touchant la partie principale de l’utérus, appelée corps de l'utérus, la paroi musculaire de l'utérus entourant la cavité utérine tapissée de la muqueuse appelée endomètre.
(4) D’après les chiffres relevés par la fondation de la recherche médicale
(5) Ablation de tout ou partie de l’utérus.
(6) L’oncogénétique tend à diagnostiquer les prédispositions génétiques aux cancers et le cas échéant à prendre en charge les personnes à risque.
(7) L’appellation « Pôle » en centre hospitalier concerne le regroupement de services en lien avec les compétences des praticiens. Au Centre hospitalier de Verdun, le « Pôle mère enfant » regroupe la gynécologie, l’obstétrique, la pédiatrie, la néonatalogie, la santé mentale et psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ainsi que la cancérologie gynécologique.

L'auteur

Maud Pannequin

Maud Pannequin

Analyste transgénérationnelle, psychogénéalogiste

Après une carrière artistique de styliste-modélliste et illustratrice, Maud Pannequin place la créativité au centre de sa pratique. Elle propose des ateliers, des séminaires et des journées d'accompagnement à Paris et en Drôme en groupes restreints pour privilégier qualité et individualité dans le travail. Fille d'un gynécologue-cancérologue et d'une infirmière, c'est tout naturellement qu'elle accompagne aujourd'hui les femmes ayant été touchées par un cancer gynécologique dans l'après-soins.