Article pubié le 17 mars 2011

L’expression « névrose de classe », que nous devons à Vincent de Gauléjac, est ambiguë car, si la névrose renvoie en psychanalyse à des processus de structuration psychique, la névrose de classe, elle, correspond à « un tableau clinique qui décrit la symptomatologie des individus qui changent de position dans la structure de classe. La notion de névrose de classe montre comment, en cas d’ascension ou de déclassement social, une personne peut souffrir de névrose. La névrose sera d’autant plus importante que les conflits liés à la trajectoire sociale sont renforcés par ceux liés au développement psychosexuels.

L’individu est partagé entre son désir de réussite sociale, le plus souvent étayé par le « projet parental », et son souci de rester fidèle aux origines de la famille, à une certaine classe sociale. Ainsi, quand un individu change de classe, il peut y avoir conflit entre une « identité héritée » provenant de son milieu d’origine et une « identité acquise » au cours de ses différentes expériences de vie. Lorsque ce conflit est mal négocié, il aboutit à la névrose de classe.

Vincent de Gauléjac montre comment il va se manifester au niveau psychologique dans le tableau clinique suivant:

  • Par réactivation d’un sentiment d’anxiété, de culpabilité et de honte dû au mépris ressenti envers les parents et à la dé idéalisation de ceux-ci.
  • Par un fort sentiment d’infériorité sociale qui donnera, par exemple, un acharnement particulier au travail et une volonté d’affirmer sa supériorité, ou la construction fantasmatique d’un roman familial,mécanisme de défense contre l’infériorité sociale, qui peut conduire, par sublimation, à écrire des romans plus ou moins autobiographiques, comme par exemple, l’œuvre d’Annie Ernaux dans « Les armoires vides » et « La place », et d’Auguste Strindberg dans « Fils de servante » entre autres.
  • Par un conflit d’identification, un conflit entre le Surmoi et l’Idéal du Moi: Le Surmoi prône le maintient de l’ordre, le respect des traditions, il incline à l’obéissance (sera à l’origine du sentiment de culpabilité), l’Idéal du Moi, lui, va pousser le Moi à rechercher d’autres modèles plus élevés, d’autres places (sera à l’origine du sentiment d’infériorité et de honte).
  • Par un possible isolement, un repli sur soi(Le repli sur soi accompagné de rêveries permet d’inverser fantasmatiquement la position sociale d’origine, véritable roman familial dans l’imaginaire, et d’en supporter la réalité) et un mécanisme de dédoublement (clivage) lié au sentiment d’être divisé de l’intérieur, d’appartenir à deux mondes différents et opposés(La contradiction entre les deux classes est vécue en intériorité comme une coupure, un clivage, ce qui génère chez l’individu un sentiment d’étrangeté et de dédoublement).

Il y a névrose si le système se protège à la fois de l’extérieur: des événements, des relations personnelles et de l’intérieur, s’il y a eu intériorisation de la Honte, du sentiment d’infériorité, générateurs d’une forte angoisse. Le plus souvent, la « culpabilité sociale » et la culpabilité oedipienne s’étayent réciproquement et se renforcent.

En étudiant la généalogie familiale, le projet parental, le roman familial, les choix et les rupture de l’existence, Vincent de Gauléjac, explique en quoi l’histoire individuelle est aussi socialement déterminée, car tout changement de classe sociale par exemple grâce au métier ou au mariage, peut réellement perturber profondément une personne et paradoxalement l’empêcher d’être heureuse.